Jusqu’au 13 octobre 2024, le centre d’art de GwinZegal, à Guingamp, présente Fushikaden, série emblématique d’Issei Suda, qui immortalise le Japon d’après-guerre. Après l’occupation américaine, l’archipel s’apprête à devenir la deuxième puissance mondiale : le photographe en capture toutes les contradictions.
Dans Fushikaden, Issei Suda explore le Japon de l’après-guerre, en prise avec la modernité galopante et ses traditions ancrées. Cette exposition du centre d’art GwinZegal revient sur les débuts du grand artiste japonais. Suda arpente Tokyo, mais aussi les provinces de Tohoku, Hokuriku et Kanto, dont il écume au cours des années 1970 les matsuri, fêtes populaires traditionnelles, mi-religieuses, mi-profanes. Les scènes photographiées baignent dans l’atmosphère crue et belliqueuse de l’été, alors que l’archipel panse les plaies de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation américaine.
Suda naît à Tokyo en 1940 et est diplômé du Tokyo College of Photography en 1962. Il commence sa carrière comme photographe attitré de la troupe de théâtre expérimental Tenjo Sajiki de Shuji Terayama en 1967, avant de commencer à travailler en indépendant à partir 1971. Après avoir gagné un prix pour Fushikaden en 1976, il est propulsé sous les feux de la rampe. Le titre de sa célèbre série est tiré de la théorie du théâtre nô, mais c’est de l’univers des films hollywoodien, particulièrement d’Orson Wells, qu’il s’inspire pour la construction de ses images. Avant d’être un livre et d’être entièrement diffusé en 2012, Fushikaden est publié sous forme de rensai, une série de huit portfolios, dans des numéros de Kamera Mainichi. C’est en effet dans les magazines que s’écrit l’histoire photographique du pays.
Un électron libre
Plusieurs mouvements photographiques coexistent au Japon à cette époque. Certaines avant-gardes se concentrent sur la représentation documentaire du réel et d’autres, comme celui porté par la revue Provoke, impulsent des formes photographiques expérimentales. Les artistes explorent le flou, l’usage explosif de la couleur, jouent avec le grain afin d’exprimer de façon subjective ce monde en pleine mutation, rempli de paradoxes. Dans ce contexte, Suda est un électron libre. De nature timide et indépendante, il utilise l’objectif de façon plus classique, au moins au premier abord. En réalité, ces carrés, réalisés au Rolleiflex, immortalisent ses contemporain·es avec beaucoup d’humour, d’absurdité, en adoptant une approche du réel radicale et sans filtres. Si, d’un premier regard, ses photographies laissent entrevoir des inspirations humanistes occidentales, l’artiste japonais ne fait qu’emprunter certains codes pour les dépasser. Ainsi, il parvient à créer un langage qui lui est propre et à représenter le Japon et ses traditions séculaires avec poésie et anticonformisme. Issei Suda puise davantage dans le surréalisme que dans le réalisme, à bien y regarder. Comme le souligne le centre d’art, le photographe est happé par les expressions des acteur·ices de kabuki, « le corps d’une femme sur la plage, des enfants se rendant à l’école, des postures improbables ou rigides, les yeux fermés… Le photographe porte une attention acérée aux détails insignifiants de la vie ».