Jusqu’au 19 janvier 2025, le Jeu de Paume met Tina Barney à l’honneur en lui consacrant sa première rétrospective européenne. Depuis quarante ans, la photographe américaine immortalise les rituels familiaux dans de grands formats aux compositions singulières.
Tout au long de l’automne et jusqu’au milieu de l’hiver, le Jeu de Paume accueille Tina Barney. Cette dernière semble d’ailleurs nous y attendre : sur le pas de la porte menant vers l’exposition, à notre droite, se trouve l’un de ses autoportraits. La photographe américaine est vêtue d’un long imperméable rouge et, les mains dans les poches, les pieds dans l’eau, ancrée dans son environnement, elle fixe l’objectif. Autour d’elle se dessinent des encyclies, des ondulations qui déforment son reflet comme ses images ont pu l’avoir été au fil des ans. Ces quatre dernières décennies, l’artiste autodidacte a notamment pris ses proches pour muses avec une certaine distance. Issue d’un milieu aisé, beaucoup ont pensé qu’elle dressait le portrait de ce monde méconnu et duquel émergent de nombreux fantasmes. Pourtant, ces tirages, insiste Tina Barney, ne traitent pas des plus riches, mais bien de familles, de personnes qui se côtoient au quotidien.
Reconsidérer les clichés
De fait, Familiy Ties a tout l’air d’une réunion de famille où les membres se rencontrent, transcendant les époques et les géographies. L’organisation de l’exposition est libre, ne suit aucune chronologie. Aussi les portraits des Barney s’entremêlent-ils à ceux d’autres lignées de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie, américaines ou européennes, réalisés à l’occasion de commandes de magazines ou personnelles. Dans des nuances à la fois douces et profondes, un dialogue commence. Il gravite autour des générations qui se croisent et se succèdent, sur l’éducation et la transmission. Ces êtres, connus ou non, adoptent une pose étudiée quand ils ne s’adonnent pas à leurs activités habituelles. Ils se révèlent sur des murs de verre transparent où ils semblent flotter. L’utilisation de la chambre engendre un léger déséquilibre dans les cadrages qui attire le regard. Dans les années 1980, cette forme d’intimité est encore rarement vue en photographie. Dans le sillage de Jeff Wall, dont elle a suivi le travail, son approche se situe à la lisière de l’instantané et de l’observation de la peinture de chevalet.
Au gré de nos déambulations, nous remarquons des constances, mais également des évolutions dans ces rituels familiaux, de même que dans la pratique de l’artiste. Les images de groupe, qu’elle a produites, pour l’essentiel, au début de sa carrière, laissent place à des portraits solitaires. Progressivement, la photographe commence à les diriger et ses tirages se transforment dès lors en des courts-métrages où l’action demeure latente. Les cartels de l’exposition donnent parfois quelques indications. Les textes, sélectionnés par Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, sont en réalité des extraits d’articles et d’entretiens parus dans la presse. Ils permettent d’entrevoir la manière dont les images ont été reçues, mais également d’avoir le retour de Tina Barney sur ses propres compositions. Un double niveau de lecture se développe ainsi, nous invitant, plus largement, à reconsidérer les clichés au travers d’un autre prisme, teinté par nos expériences de vie.