Jusqu’au 2 décembre, la Galerie Rouge à Paris dédie la première exposition personnelle en France à Jill Freedman. Photographe humaniste au grand cœur, elle a immortalisé avec une justesse rare et beaucoup de soin, les vies marginales du New York des années 1960-1970.
Formidable conteuse d’histoires, engagée au grand cœur, photographe révoltée au regard acéré, Jill Freedman (1939 – 2019) est l’une des figures les plus importantes de la photographie étasunienne du 20e siècle. Peu connue en France, la Galerie Rouge lui consacre pour la première fois une exposition personnelle. Toujours au plus près de ses sujets, l’autrice photographie ces personnes comme si elles étaient ses ami·es voire sa famille. Elle dévoile ainsi toute la complexité de ces relations et les restitue avec véracité, sans jugement aucun. Dans son objectif, les vies marginales conquièrent enfin le premier plan. Voyageant au sein de communautés dites « fermées », la photographe donne à voir ce que l’œil de la normativité refuse de regarder et qui pourtant recèle des expériences humaines sublimes. Sa photographie a pu être qualifié de « sombre » ou de « brute », mais elle s’apparente plutôt à une retranscription de la réalité profondément humaniste, remplie de soin et d’attention pour les sujets photographiés, et d’un sens de l’humour très aiguisé. L’exposition s’articule autour de trois « mondes » que l’artiste a côtoyés et photographiés sur la longue durée : les rues de New York, sa ville d’adoption depuis 1964 ; la Marche des pauvres sur Washington organisée à la suite de l’assassinat de Martin Luther King en 1968 ; et la vie d’un cirque itinérant dans le Sud-Est des Etats-Unis dans les années 1970.
Une photographe révoltée et profondément libre
Jill Freedman se définissait de « politiquement engagée » au nom de la liberté qu’elle insufflait à ses photographies. La liberté, pour elle, était le plus important des engagements politiques. Après avoir arpenté l’Europe et avoir séjourné, entre Paris et Marseille, elle se rend à New York, où elle élit domicile au Greenwhich Village. Les rues de la Grosse Pomme sont le plus emblématique de ses thèmes de travail et constituent l’essentiel de son corpus, aujourd’hui mis en avant par l’exposition à la Galerie Rouge. Quartier à la fraîcheur intellectuelle effervescente, il est son terrain de travail pendant trois décennies, durant lesquelles elle n’aura cesse de narrer les histoires des personnes marginalisées qui y vivent. Ces vies, représentées toujours avec une délicatesse et une bienveillance hors pair, sont riches de scènes et de personnages uniques, emblématiques de la condition humaine. Ce sont des vies « empêchées », comme le dirait la sociologue new-yorkaise Judith Butler, qui a largement exploré la question du genre et de la marginalité dans ses ouvrages. Ces microcosmes frénétiques, elle ne les regarde pas avec voyeurisme, mais avec une grande honnêteté et une écriture photographique, parfois naïve. À la différence du monde de l’art contemporain qui, encore aujourd’hui, n’a pas abandonné son snobisme, la photographie humaniste de Freedman exprime un sens de révolte plein d’amour et d’un réel souci de soin. En plongeant dans les sept livres qu’elle a publiés autour de ses années à Greenwhich, un monde s’ouvre sur les communautés en marges. C’est une précieuse fenêtre sur la vie de celles et ceux que la norme dominante considère comme « moins dignes » d’exister. En ce sens, Freedman est plus qu’une photographe humaniste : elle est une artiste au grand cœur. Son œuvre se caractérise par une volonté d’être au plus près de ceux et celles qu’elle photographie afin de restituer les relations humaines dans toute leur complexité avec comme seuls guides l’altruisme et l’absence de jugement.