Dans The City of dreams, Joakim Kocjancic dépeint Bucarest en monochromes, comme dans un rêve éveillé. La ville prend vie sous des flashs impétueux et nous conte elle-même sa folle histoire…
Les passant·es foulent les pavés, le ciel est triste ou endormi habillé de sa robe nuageuse. Il a l’air de faire froid, mais grâce aux sourires que l’on aperçoit, une chaleur s’immisce dans le brouillard. Il fait meilleur la nuit, paraît-il, au moment où les rêves et le champ des possibles s’ouvrent sur la ville. C’est en tout cas ce qu’a ressenti Joakim Kocjancic lorsqu’il a bravé les ruelles de Bucarest pour la première fois.
Tout démarre en octobre 2019, alors qu’il s’envole pour quelques jours seulement dans la capitale roumaine. « C’était une journée d’automne chaude et ensoleillée. Depuis le rond-point, je suis entré dans la rue Mendeleev et j’ai eu l’impression d’ouvrir une porte sur un nouveau monde. De vieux bâtiments du 19e siècle, des maisons art déco, des câbles électriques qui pendent partout, tant de couches de temps, de vie, de gens… J’ai été immédiatement fasciné et attiré par cette rue. Lorsque je me suis promenée dans le centre-ville, je me suis sentie à l’aise avec la vie urbaine et ses habitants. C’était détendu, sans prétention et accessible. J’ai senti que je pouvais communique même niveau, même si je ne connaissais pas la langue », explique-t-il dans une interview accordée à Andrei Becheru, directeur artistique et photographe roumain.
De retour à Stockholm où il est installé, il se plonge dans la lecture de Solenoid de Mircea Cărtărescu, un roman surréaliste situant son histoire à Bucarest. Il est immédiatement bouleversé, ses souvenirs de voyage se mélangeant à la prose de l’auteur, et très vite il ressent le besoin de retourner là-bas. De ce séjour liminaire trois autres suivront, toujours de façon brève, comme une escapade nécessaire, suffisamment intense pour capter des instants fougueux.
La ville en partenaire
Ayant vécu à Milan, d’une mère suédoise et d’un père italien, Joakim Kocjancic a toujours été fasciné par l’aura attractive des milieux citadins. Pendant ses études de peinture à l’Académie d’art de Florence, suivies d’un master de photojournalisme à Londres, il parcourt l’Europe, de l’Irlande à l’Angleterre en passant par la Belgique et l’Espagne, tout en façonnant son regard photographique. En découlent plusieurs séries, dont Europea, ode à l’éclectisme européen, et à l’évanescence de l’ordinaire.
Et pour créer The city of dreams, il capte dans l’urgence, dans l’effervescence d’un geste, frontalement et sans jugements ce qui s’y passe. Comme dans l’ensemble de son œuvre, il shoote en noir et blanc et à l’argentique, laissant ainsi peser le doute sur la période, les saisons où l’heure de la prise de vue. Un manque de repères suscitant une complicité avec l’éternel. Une sorte de mirage éveillé, comme celui que Bucarest lui a procuré la première fois. Dans les images, les fils électriques s’étirent, les flous étourdissent, les visages des inconnu·es défilent, se posent un instant pour repartir aussitôt… La ville nous parle, nous appelle à sombrer à ses côtés, à écouter ronronner les moteurs endormis, et à admirer la danse entêtante des radars dans le noir. C’est avec Bucarest tout entière que Joakim Kocjancic s’est entretenu pour écrire sa série, telle une caresse bienveillante en pleine nuit.