Dans sa série What to Do With a Million Years ?, la photographe britannique Juno Calypso investit un abri antiatomique extravagant non loin de Las Vegas conçu au moment de la Guerre froide. Dans des autoportraits stylisés, elle explore les notions de vie et de mort et offre une critique autant réfléchie qu’absurde de celleux qui souhaitent vivre éternellement.
C’est en cherchant des lieux atypiques pour exécuter ses autoportraits aux allures théâtrales et pourchassant la perfection que Juno Calypso – née à Londres en 1989 – découvre l’étonnante maison souterraine des Henderson et leur histoire dans un article de presse. Dans les années 1970, le patron de l’entreprise de cosmétiques Avon, Gerry (ou Jerry) Henderson, fait construire un bunker à quelques kilomètres de Las Vegas, aux États-Unis, dans l’optique de s’abriter avec sa femme, Mary, en cas de conflit nucléaire – on est en plein pic de la guerre froide. Il ne s’agit pas d’un abri antiatomique comme les autres. « Ce sont la cuisine rose et le faux jardin qui ont attiré mon attention », révèle la photographe.
Le couple étant décédé dans les années 1980, Juno Calypso endosse la casquette de détective, passant au peigne fin Internet afin de dénicher le nom de l’actuel·le propriétaire. La maison, conservée avec soin, est enregistrée au nom d’une étrange organisation, The Society for the Preservation of Near Extinct Species, une association qui explore les possibilités de cryogénisation humaine. Après avoir obtenu l’autorisation d’utiliser l’habitation pour un projet photographique, l’artiste s’envole pour l’Ouest. « Entre ces époux·ses richissimes voulant survivre à une éventuelle guerre atomique dans un bunker de luxe et la société cryogénique possédant de nos jours le lieu, j’avais deux histoires intéressantes traitant de la peur de mourir », confie Juno Calypso.
Un bunker aux faux airs de Barbie
Tandis qu’elle sonde les archives de l’Université du Nevada concernant l’actuel propriétaire et explore le National Atomic Testing Museum de Las Vegas, la série What to Do With a Million Years se dessine doucement dans l’esprit de la photographe. « J’ai pensé à la mort et à la guerre, à ce duo qui a façonné une sorte de palais de la paranoïa, parce qu’iels envisageaient réellement que la fin du monde pouvait arriver à tout moment », raconte-t-elle.
Dans ce contraste entre apocalypse et overdose de rose, survivalisme et décorations luxueusement kitsch, l’artiste a l’idée d’une mise en scène. Au sein du bunker aux faux airs de maison de Barbie, à l’aide de quelques costumes et perruques, elle crée l’histoire d’une femme sexy – un personnage récurrent dans son travail d’autoportrait – seule
face à son désir excessif de vivre éternellement et face à la mort qui plane. Que ferait cette femme pendant un million d’années ? Pourrait-elle être une version de Mary Henderson ? L’interprétation est laissée libre. Une chose est sûre, l’ennui lié au temps qui passe est palpable dans chacune des images de la photographe, qui fait là une critique de la recherche de l’immortalité à tout prix. « J’ai tendance à être assez pessimiste à propos de la vie, avoue l’artiste. En croisant le chemin de ces personnes qui ont une telle soif de vivre, je n’arrive pas à comprendre. Je me demande ce qu’elles aiment tant à propos de l’existence. Que veulent-elles faire ? Pour moi, leur approche est très individualiste. La vie n’est pas amusante lorsque vous êtes immortel·les, ou quand vous êtes congelé·es [rires], elle l’est lorsque vous êtes entouré·es. »
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #69.