Photographe commercial de profession, Joe Howard est tombé amoureux des îles grecques. Argentique en main il a compilé dans son livre Kyanos, plusieurs années de voyage à la recherche de l’authentique éblouissement, loin du cadre carré des réseaux. Il signe ainsi un hommage ambigu au tourisme, sous le soleil de la mer Égée.
L’image est dorée, le couple âgé, sur deux transats. Iels dorment la bouche grande ouverte, comme saisi·es par la nonchalance de la beauté qui s’offre à elleux : celle d’une plage, non de sable, mais de petits galets, là où le mat des bateaux tinte légèrement dans l’air assoupi. Loin des images de voyages classiques, où le drone impose le plan large et aérien, Joe Howard photographie à hauteur humaine. À Santorin par exemple, ses images s’arrêtent sur les débris, tendent vers l’abstrait et le désœuvrement. « Je voulais montrer des voitures abandonnées et de vieilles chaises longues à l’ombre de falaises corrodées en essayant de donner une vue complètement différente des falaises d’Oia », explique-t-il.
Peu intéressé par la composition pure d’un paysage ni par l’esthétisme minéral souvent développé ailleurs, le photographe s’attache plutôt à reconstruire la touchante naïveté d’un visiteur légèrement égaré. « Ces îles ont bien plus à offrir que des photos parfaites sur Instagram. En creusant un peu, vous découvrirez des communautés prospères, une écologie riche et un paysage diversifié et en constante évolution », assure-t-il. Et si ses influences incluent le travail d’Alex Webb, mais aussi l’approche du paysage de Paul Graham et Chris Killip. Joe Howard shoote, au Mamiya 7 et au Leica 6, des visuels picturaux aux couleurs délicieusement vintages : « J’aime travailler avec des lumières dramatiques, des ciels riches de Turner et Constable. Quand je fais des paysages, je veux qu’ils aient l’air d’un tableau », confie l’auteur.
Le Double sens du mot Kyanos
À Kyanos, il trouve son terrain de jeu idéal. « Ce mot qui signifie “émail bleu foncé”, est à l’origine du mot “cyan”. Bien que beaucoup l’associent à la couleur bleue, il a également été utilisé pour décrire des tons plus sombres. Les philosophes grecs utilisent d’ailleurs “kyanos” par intermittence pour désigner à la fois le bleu foncé et le noir. Dans un livre sur les pierres précieuses, Théophraste, élève d’Aristote, décrit le lapis-lazuli (bleu) comme étant de couleur kyanos. Dans l’Iliade d’Homère, il décrit non seulement la couleur de l’acier, mais aussi la chevelure d’Hector. C’était un choix délibéré de donner ce nom au livre, mais de ne pas avoir une couverture bleue. Je voulais explorer son double sens, donner de l’espace à la fois au stéréotype de la Grèce et rendre hommage aux tons plus chauds que vous verrez dans le livre. Quand je songe à ce pays, je ne pense pas seulement au bleu et au blanc, mais aussi aux rouges riches, aux oranges brûlés et aux verts vifs », raconte-t-il.
Sans être engagé, le livre présente une vision subtile et nuancée du tourisme, en montrant, par exemple, des panneaux « À vendre » – écrits en anglais et non en grec – à l’extérieur de vieux cottages. « Ayant grandi en Cornouailles, dans le sud-ouest de l’Angleterre, le tourisme et les difficultés liées à la pénurie de logements sont des sujets familiers. Étant moi-même touriste, je dois être conscient que je suis aussi perçu comme faisant partie du problème », constate le photographe. Mais son mérite est surtout de montrer, ces routes sinueuses, ces plages ni sublimes ni laides. Une Grèce authentique où reste encore, dans une douceur irréelle et estivale, la possibilité d’une île.