Direction le Japon, plus précisément Kyoto, où le festival Kyotographie, fondé en 2013 par Lucille Reyboz et Yusuke Nakanishi, explore cette année le thème « Humanity ». Cette 13e édition est marquée par deux expositions majeures, signées Mao Ishikawa et Graciela Iturbide, et par l’énergie renouvelée du parcours KG+, vivier de la photographie émergente.
Qu’est-ce que l’humanité quand on la regarde en face ? Quand on photographie celles et ceux qu’on préfère oublier ? C’est la question posée cette année à Kyotographie, dans une programmation pensée comme une traversée visuelle. Des temples, des maisons traditionnelles, des friches industrielles deviennent les écrins de récits souvent tus. Deux expositions, notamment, incarnent avec force cette tension : Red Flower – The Women of Okinawa de Mao Ishikawa et la rétrospective de l’œuvre de Graciela Iturbide.
Ces couples mixtes qui dérangent
À Kondaya Genbei, Mao Ishikawa présente Red Flower – The Women of Okinawa. Dans les années 1970, l’artiste originaire d’Okinawa partageait le quotidien de femmes japonaises travaillant dans des bars fréquentés par des soldats afro-américains. Serveuse à l’époque, elle photographie de l’intérieur, sans mise en scène. Le contexte est lourd : ces couples mixtes dérangent. Le regard extérieur est stigmatisé. Les soldats noirs sont discriminés jusque dans les bases. Quant aux femmes, elles sont rejetées pour leur proximité avec eux. Taro Amano, commissaire de l’exposition, nous l’a rappelé : il s’agissait d’« un rejet partagé, doublé d’un silence pesant ». Certaines images, restées inédites jusqu’à aujourd’hui, prennent une résonance nouvelle. Née en 1953, Mao Ishikawa poursuit inlassablement son travail sur les marges et les tensions du Japon contemporain, avec une lucidité intacte.
« Je photographie pour comprendre »
Au City Museum of Art Annex, la photographe mexicaine Graciela Iturbide propose une rétrospective forte et sans fioritures. On y retrouve des images devenues iconiques : Mujer Ángel, prise dans le désert de Sonora, ou encore les femmes zapotèques de Juchitán. Il n’y a pas de mise en scène. Juste un regard précis. Une tension constante entre modernité et tradition. Ces lieux aussi portent l’histoire : Ostie, sur les traces de Pasolini. La salle de bain de Frida Kahlo, restée close cinquante ans, où elle capte un autoportrait d’une rare pudeur. Formée par Manuel Álvarez Bravo, Graciela Iturbide photographie depuis les années 1970 une humanité digne, discrète, souvent en marge. « Je ne prends pas de photos pour surprendre. Je photographie pour comprendre », explique-t-elle.
KG+ : le terrain libre d’une création émergente
En parallèle du programme officiel, KG+ continue d’ouvrir de nouveaux espaces depuis sa création en 2013. Ce « hors-champ » du festival accueille des projets plus jeunes, plus libres. Cette année, le Bolivien Federico Estol est récompensé pour Shine Heroes, une série dans laquelle les cireurs de chaussures de La Paz deviennent superhéros du quotidien. Un travail simple, visuel et politiquement chargé.
Avec ses fanions jaunes disséminés dans la ville, KG+ incarne une volonté claire : faire exister des projets sans complexe, à la marge du système, mais au cœur du regard. Tout au long du parcours, des visions singulières jalonnent le festival, parfois jusqu’à la rencontre : JR, Martin Parr, Éric Poitevin, Pushpamala N, Adam Rouhana, Keijiro Kai, Laetitia Ky, Tamaki Yoshida, Hsin-Yu Liu, Eamonn Doyle, Omar Victor Diop… Autant de façons d’interroger l’image aujourd’hui. Et une question qui persiste, plus que jamais : qu’est-ce que Humanity ?
Un article complet sera à retrouver dans Fisheye #71, à découvrir prochainement en kiosque.