À la Bibliothèque nationale de France, quatre grands prix photographiques se réunissent pour la 4e édition de l’exposition La Photographie à tout prix, qui se tient jusqu’au 30 mars 2025. Une occasion pour la BnF de réitérer son soutien au médium et aux artistes qui l’utilisent pour raconter notre monde.
C’est dans l’allée Julien Cain de la Bibliothèque nationale de France – François-Mitterrand (BnF), au sol tapissé d’un velours rouge grenat, que s’installe l’exposition La Photographie à tout prix jusqu’au 30 mars 2025. Pour sa 4e édition, elle rassemble les lauréat·es des prix Niépce Gens d’images (Anne-Lise Broyer), Nadar Gens d’images (Jean-Michel André pour Chambre 207), Camera Clara (Alexandra Catiere) et de la Bourse du Talent (Karla Hiraldo Voleau, Guillaume Holzer et Hassan Kurbanbaev), soutenue par Picto Foundation. Il s’agit d’ « une nouvelle tradition, on est certain, qui sera durable », a assuré Gilles Pécout, président de la BnF. Friande d’art photographique, la Bibliothèque continue à multiplier les initiatives pour épauler artistes et éditeur·ices, et de réunir les prix qui les révèlent. Ce rendez-vous annuel, dont le commissariat a été confié à Héloïse Conésa, cheffe du service de la photographie de la BnF, met à l’honneur des auteur·ices qui puisent dans des approches contemporaines du médium autant documentaires que poétiques.
Le bal s’ouvre sur la prose d’Anne-Lise Broyer qui, depuis plus de vingt ans, nourrit son travail photographique de littérature, de dessins et d’écriture, brouillant ainsi les frontières entre les procédés. Des tirages ressemblant à des livres ouverts nous invitent à nous immerger dans son univers. Puis Jean-Michel André, à travers des photographies d’archives, des articles de presse et ses propres images, s’en retourne au moment de la nuit tragique où il a perdu son père, assassiné, dans la chambre 207 du Sofitel d’Avignon, en 1983. Dans cette œuvre publiée aux Éditions Actes Sud, l’artiste redessine ses souvenirs un à un dans une approche autofictionnelle. La cimaise suivante est consacrée à la série Le Souffle de l’être d’Alexandra Catiere, qui rend hommage aux personnes aimées, parties trop tôt de ce monde, sur des triages expérimentaux. Enfin, le dernier chapitre de l’exposition est dédié aux trois lauréat·es de la Bourse du Talent qui, depuis 1998, met en lumière des auteur·ices appréhendant nos sociétés en mutation par le biais d’écritures documentaires novatrices.
La Bourse du Talent, un regard engagé sur notre monde
« Notre volonté est d’encourager l’innovation esthétique et technique, mais surtout d’accompagner une création liée au monde actuel », affirme Gilles Pécout. Parmi les quatre prix photographiques présentés lors de cette exposition, la Bourse du Talent, initiée par Didier de Faÿs avec le soutien de Picto Foundation, récompense trois artistes aux démarches engagées. Après avoir vécu huit ans sur l’archipel de Komodo, en Indonésie, pour une mission humanitaire sur les questions en lien avec la pêche, Guillaume Holzer y retourne pour réaliser Territoire nomade. « En ayant passé autant de temps sur les problématiques de poissons, j’avais presque oublié de m’intéresser aux problématiques humaines. Beaucoup des pêcheurs sont apatrides. Ils n’ont pas de cartes d’identité. Pour l’État, ils n’existent pas », raconte le photographe. Les portraits d’anonymes font écho à leur situation sur des tirages uniques, réalisés à la gomme bichromatée. Hassan Kurbanbaev, lui, nous embarque dans son pays, l’Ouzbékistan, où pendant plusieurs années, il a rencontré les communautés locales qui peuplent sa terre. « Il crée en couleur aussi bien des portraits que des paysages qui montrent comment l’Ouzbékistan aujourd’hui essaie d’affirmer une identité loin de la Russie et d’autres influences plus occidentales », explique Héloïse Conésa, commissaire de l’exposition. Sur ses images infusent des références iconographiques du cinéma de Khudaibergen Devanov (1879-1940), photographe et réalisateur ouzbek.
La Photographie à tout prix s’achève sur la narration visuelle de l’artiste franco-dominicaine Karla Hiraldo Voleau. « À l’annonce de l’annulation du décret constitutionnel Roe v. Wade (qui, depuis 1973, établissait le cadre légal de l’accès à l’avortement aux États-Unis, ndlr), j’étais furieuse », soutient la photographe. N’étant pas Américaine, elle décide de parler de l’interruption volontaire de grossesse sur son île, qui est illégale en toute circonstance, « même lorsque la grossesse résulte d’un viol ou lorsqu’elle met en danger la vie de la mère », ajoute-t-elle. L’artiste est ainsi partie à la rencontre de 30 femmes ayant eu recours à un avortement clandestin. Ensemble, elles ont composé Doble moral, un dialogue entre témoignages écrits et images collaboratives. « Nous avons fait des portraits que j’appelle “solidaires”, car je les invitais à prendre elles-mêmes la photo à l’aide d’un déclencheur souple, quand elles se sentaient prêtes. Moi, généralement, je cadrais », détaille Karla Hiraldo Voleau. Sur les cimaises de la BnF, les regards et les postures de ces femmes, tantôt anonymes, tantôt affirmés, mais toujours fiers, nous remémorent qu’aucun droit n’est acquis et que les femmes poursuivent leur combat à travers la planète pour pouvoir disposer de leur corps. Cette série remporte également la première édition du prix la Bourse du Talent SAIF, dédiée au développement d’un projet documentaire.