Laia Abril

09 juillet 2016   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Laia Abril
Laia Abril, 30 ans, est une photographe catalane qui expose pour la première fois aux Rencontres d’Arles. Elle présente On Abortion, le premier chapitre d’un projet intitulé A History of Misogyny. Un ambitieux travail documentaire, sensible, précis et engagé, dont elle nous révèle les coulisses. Entretien.

Fisheye Magazine : Quelles sont les origines du projet A History of Misogyny que vous présentez cette année aux Rencontres d’Arles ?

Laia Abril : « J’ai photographié beaucoup d’histoires autour des femmes, de la sexualité et de l’identité à mes débuts. Mais je me suis rendu compte, il y a quelques années, que ça ne s’articulait pas. J’ai alors décidé de me lancer sur des sujets plus inconfortables et difficiles à traiter : la misogynie et le féminisme. Je voulais les aborder sous une perspective historique, parce que nous avons cette manie de laisser au passé ce qui lui appartient. »

Quel est le propos de ce travail ?

A History of Misogyny est un travail dans lequel je compare le présent et le passé dans plusieurs pays, afin que le public comprenne que les problématiques évoquées sont mondiales et toujours d’actualité. Je ne suis ni historienne ni sociologue. Je suis une photographe, une artiste, et cela me permet d’exprimer ces choses qui me touchent. Mais parce que j’ai étudié le journalisme, je le fais avec une ambition de vérité. Je veux mettre en lumière ce qui est caché. Le premier chapitre du projet, On Abortion, porte sur les conséquences du manque d’accès à l’avortement.

Coupe transversale d'un corps de femme, montrant les dommages d'un avortement effectué par des objets non destinés à cet usage © Laia Abril / Museum of Contraception and Abortion, Vienne, Autriche, 2015.
Coupe transversale d’un corps de femme, montrant les dommages d’un avortement effectué par des objets non destinés à cet usage © Laia Abril / Museum of Contraception and Abortion, Vienne, Autriche, 2015.

D’après vos recherches et ce que vous avez pu observer à travers votre projet, comment le terme de misogynie résonne-t-il aujourd’hui ?

Beaucoup de gens pensent que la misogynie est la haine des hommes envers les femmes. C’est une erreur, puisque ce terme désigne la haine envers les femmes en général. Cette hostilité émane aussi du système – que j’essaie de dépeindre dans A History of Misogyny. C’est-à-dire une situation entérinée dans le passé, qui existe toujours aujourd’hui et que nous n’envisageons pas de remettre en cause, puisqu’il en a toujours été ainsi. A contrario, il existe des pays avec une législation liberticide instaurée depuis peu. Par exemple, le Salvador interdit l’avortement dans toutes les circonstances, et cette loi date seulement de 1998 ! Je ne suis pas une experte, mais je constate qu’il y a un sentiment de misogynie rémanent démontrant que nous n’avons pas dépassé les réticences du passé.

D’ailleurs chez vous en Espagne, il y a deux ans, le gouvernement de Mariano Rajoy a décidé de limiter le droit à l’avortement avec un projet de loi très polémique.

En effet ! Je revenais de sept ans à l’étranger lorsque ce projet de loi a été annoncé. Il a eu un fort impact sur mon projet, car je n’aurais jamais pensé que le droit à l’avortement puisse courir un risque dans mon pays. Quand les choses vont bien, on ne se dit pas qu’il pourrait en être autrement, que l’on pourrait revenir en arrière. Et pourtant…

Certaines femmes avortent seules en utilisant des objets tels que le cintre, la tige d'un parapluie, des aiguilles à tricoter... Cela peut causer une infection, une hémorragie, la stérilité ou la mort. © Laia Abril
Certaines femmes avortent seules en utilisant des objets tels que le cintre, la tige d’un parapluie, des aiguilles à tricoter… Cela peut causer une infection, une hémorragie, la stérilité ou la mort © Laia Abril

Combien de temps avez-vous travaillé autour de ce premier chapitre sur l’avortement ?

Ce chapitre est le fruit de sept années de recherche sur le sujet. Mais dans l’exécution, ce fut très rapide ! Car j’ai eu cette opportunité de pouvoir l’exposer aux Rencontres d’Arles – une opportunité que je ne pouvais refuser – et par conséquent, ça a accéléré le processus. Il m’aura fallu un peu plus de neuf mois pour terminer ce chapitre. J’aime penser que je l’ai porté aussi longtemps qu’une grossesse ! [Rires.]

Quelles conclusions avez-vous tirées de ces sept années de recherche ?

Qu’il y a un manque de compréhension sur l’avortement et de connaissances sur la contraception. Moi-même, je me suis aperçue que je savais peu de chose sur le sujet, en partie car je n’y ai jamais eu recours. Parce que nous vivons aujourd’hui dans une société occidentale libre, nous avons tendance à minimiser certains problèmes sociaux, sous prétexte qu’il y a eu bien pire avant et que nous avons progressé. Or c’est tout l’intérêt de ce projet : montrer aux gens à quel point l’avortement demeure une question majeure, et n’est pas seulement un sujet féminin.

 Ce premier chapitre s’ouvre sur une série de photos d’objets tirés des collections du musée de la Contraception et de l’Avortement de Vienne. C’était important pour vous d’introduire cette dimension scientifique ?

Ce musée est une référence, et ses collections sont très importantes. Je me suis beaucoup imprégnée de cette ambiance scientifique, oui. Dans mes précédents travaux, j’ai pris l’habitude d’aborder des sujets très sensibles, forts en émotions. Dans ce cas-là, il m’a fallu prendre du recul. Présenter les faits, donner les clés de compréhension pour permettre au public de tirer ses propres conclusions à travers des images assez brutes…

Des outils d'avortement à usage domestique. © Laia Abril / Museum of Conraception and Abortion, Vienne, Autriche, 2015
Des outils d’avortement à usage domestique © Laia Abril / Museum of Conraception and Abortion, Vienne, Autriche, 2015

… L’intégralité de cet article est à retrouver dans Fisheye #19, en kiosque actuellement.

Explorez
Jet Siemons : combien de temps faudra‑t‑il pour qu’on m’oublie ? 
© Jet Siemons
Jet Siemons : combien de temps faudra‑t‑il pour qu’on m’oublie ? 
Dans Hannie & Billo – The Trail Project, Jet Siemons retrace la trajectoire d’un couple, Hannie et Billo, à partir d’un album photo...
18 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
© Valérie Belin
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
L’heure des rencontres « 7 à 9 de Chanel » au Jeu de Paume a sonné. En cette rentrée, c’est au tour de Valérie Belin, quatrième invitée...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
Couldn’t Care Less de Thomas Lélu et Lee Shulman : un livre à votre image
Couldn't Care Less © Thomas Lélu et Lee Shulman
Couldn’t Care Less de Thomas Lélu et Lee Shulman : un livre à votre image
Sous le soleil arlésien, nous avons rencontré Lee Shulman et Thomas Lélu à l’occasion de la sortie de Couldn’t Care Less. Pour réaliser...
11 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #523 : loup y es-tu ?
© Ecaterina Rusu / Instagram
La sélection Instagram #523 : loup y es-tu ?
Photographier signifie souvent montrer, dévoiler, révéler. Pourtant, il arrive que ce qui se trouve de l’autre côté de l’objectif ne...
09 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
What’s the word? Johannesburg! : L'Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
© Afronova Gallery, Alice Mann, Siphithemba Mshengu, 2018.
What’s the word? Johannesburg! : L’Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
Accueillie jusqu'au 21 décembre 2025 à la Fondation A, située à Bruxelles, l’exposition What’s the word? Johannesburg! nous présente le...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Jet Siemons : combien de temps faudra‑t‑il pour qu’on m’oublie ? 
© Jet Siemons
Jet Siemons : combien de temps faudra‑t‑il pour qu’on m’oublie ? 
Dans Hannie & Billo – The Trail Project, Jet Siemons retrace la trajectoire d’un couple, Hannie et Billo, à partir d’un album photo...
18 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Ekaterina Perfilieva et l'intime au cœur de la fracture
© Ekaterina Perfilieva, Nocturnal Animals
Ekaterina Perfilieva et l’intime au cœur de la fracture
À la fois distante et profondément engagée, Ekaterina Perfilieva, artiste multidisciplinaire, interroge une contemporanéité...
17 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
© Valérie Belin
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
L’heure des rencontres « 7 à 9 de Chanel » au Jeu de Paume a sonné. En cette rentrée, c’est au tour de Valérie Belin, quatrième invitée...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot