Dans The bushfire, the flood and the virus, la photographe Lisa Sorgini documente son quotidien, bouleversé par une succession de catastrophes naturelles, en Australie. Avec une sensibilité picturale, elle aborde les notions de liens familiaux, d’anxiété, et de désarroi.
Novembre 2020. En Australie de l’Est, les feux de forêt se multiplient et brûlent de larges territoires de la Nouvelle-Galles du Sud et de Victoria – jusqu’à 5,3 millions d’hectares, soit environ 7% de l’État. Les conséquences sont désastreuses : pertes humaines, parcs nationaux détruits, espèces animales malmenées… Un mois plus tard, des torrents d’eau se déversent et ces territoires, jusqu’alors arides, se retrouvent inondés. Peu de temps après, l’épidémie de la Covid-19 atteint le pays. Une chaîne de catastrophes, surnommée le « Black Summer » qui plonge l’Australie dans une anxiété collective palpable. « En tant que mère de famille cela m’a plongé dans un état persistant de panique. L’équilibre entre l’envie de partager le désespoir des autres, tout en restant positive pour mes enfants n’avait jamais été aussi difficile à maintenir », confie Lisa Sorgini.
Pour l’artiste visuelle australienne, la photographie est un outil cathartique permettant, de manière souvent abstraite et non linéaire, de percevoir sa place dans le monde. Inspirée par les relations entre mère et enfant, la notion de communauté et les constructions sociétales, elle développe des séries profondément intimes, où règnent calme et compassion. « Ayant grandi au sein d’une famille dysfonctionnelle, et après avoir perdu ma mère, suite aux complications d’un cancer, quelques mois avant la naissance de mon premier enfant, j’ai l’impression que ma propre histoire m’a rendue plus sensible à l’amour profond qui existe en parallèle des traumatismes générationnels », explique-t-elle.
La dualité entre l’ombre et la lumière
Bouleversée par la déferlante du Black Summer, Lisa Sorgini s’est réfugiée dans la création pour échapper aux doutes, à la peur quotidienne. De ce besoin de se rassurer nait The bushfire, the flood and the virus. Une œuvre picturale révélant un Éden sacré, un havre de paix au cœur d’un monde sombrant dans le chaos. Tel un conte – l’énumération du titre de la série évoque d’ailleurs les fables enfantines – la série immerge le regardeur dans un territoire aux tons chauds, à la beauté surnaturelle. Un espace fantasmé, contrastant avec la réalité cruelle. « J’ai toujours été sensible à la dualité entre l’ombre et la lumière. Si dès l’enfance, on nous encourage à être optimistes, cette focalisation sur la légèreté peut parfois nous empêcher d’accepter le fait que la part sombre doit aussi exister. Ces symboles d’innocence sont très présents dans mon œuvre, mais j’entends les montrer dans un contexte plus funèbre », confie l’artiste.
Dans les images de l’artiste, les clairs-obscurs et palettes de couleurs chaudes donnent au réel une dimension dramatique, les étendues d’eau laissées par les inondations dialoguent avec les baignades en famille. Les maisons de bois penchent dangereusement et témoignent de la fragilité de l’existence – et de la planète. Pourtant, les fleurs, paysages luxuriants et cris de joie insouciants dominent. Une dichotomie que l’on se plaît à analyser au gré des promenades en pleine nature de l’artiste et ses enfants. « J’apprécie beaucoup la lumière des peintures de la renaissance. Lorsque j’étais jeune, ma grand-mère exposait chez elle des œuvres terrifiantes, où des monstres étaient éclairés par des lueurs splendides. Je pense que ces scènes m’ont beaucoup affectée. En tant que photographe, j’aime aujourd’hui représentés des sujets difficiles d’une manière éthérée », raconte-t-elle. Et, au fil du projet, ses hantises surgissent, çà et là, éclipsées, pourtant, par une sensation tout autre : celle d’un cocon, protégeant, avec amour, ses enfants. « J’étais tellement obnubilée par leur bien-être que ces éléments sont apparus naturellement – des évidences de mon besoin de les préserver des événements actuels », conclut-elle.
© Lisa Sorgini