Laurent Millet en quête du jardin impossible

15 mars 2024   •  
Écrit par Milena III
Laurent Millet en quête du jardin impossible
© Laurent Millet, Hespérides
© Laurent Millet, Hespérides

Laurent Millet explore une multitude de techniques anciennes afin d’imaginer des œuvres hybrides. Hespérides, véritable jardin des merveilles en grande dimension, s’inspire en partie des méthodes décoratives du 18e siècle – loin d’une quelconque nostalgie.

« La photographie, comme le cinéma, est un médium plutôt “pur” : elle peut tout absorber, déclare Laurent Millet. Je m’appuie sur cette capacité qu’elle a de pouvoir changer les choses de format (un texte, un paysage…) », poursuit-il. Dans le travail de cet artiste qui vit à La Rochelle, en effet, une sculpture devient un paysage, les limites des objets s’estompent et le jeu des formes peut se déployer avec fantaisie et malice. Laurent Millet ne se contente pas seulement de capturer et de détourner les objets contemplés : il les fabrique également lui-même. « Souvent ces objets ont un point commun avec la photo : ils possèdent une façade qui est souvent différente de ce qu’ils sont réellement, ce qui leur permet d’entrer dans un jeu avec les apparences et l’imaginaire », détaille-t-il. Le défi, en tant que photographe devient alors d’inventer une nouvelle manière de faire passer ces objets de la 3e dimension au 8e art – du réel à l’image.

Aujourd’hui artiste pluridisciplinaire et enseignant à l’école des Beaux-Arts d’Angers, Laurent Millet s’est formé en autodidacte, avant de devenir à 19 ans l’assistant de Lucien Clergue – l’un des pères fondateurs des Rencontres d’Arles. Grâce à une approche plastique, Laurent Millet fait de son travail une œuvre traversée par l’histoire de la photographie. « Je pars toujours de références pour mes images : cela peut être des œuvres d’artistes, des pages d’encyclopédie, ou encore le travail d’un orfèvre allemand du 17e siècle… », explique-t-il. Les thématiques qui traversent son œuvre ont généralement beaucoup à voir avec les sciences et la pédagogie des sciences, entre autres – comme ses séries Somnium ou L’Astrophile. Mais c’est un autre genre présent dans son travail qui a particulièrement attiré notre attention : la photographie qui explore de nouvelles manières de représenter le paysage, en employant, paradoxalement, des procédés anciens de tirage. 

© Laurent Millet, Hespérides
© Laurent Millet, Hespérides, photogramme
© Laurent Millet, Hespérides

Un travail d’illusionniste

Le jardin imaginé dans Hespérides – du nom de ce lieu mythologique réservé aux dieux et gardé par des muses du même nom – résulte d’un travail sur cyanotype et avec gommes bichromatées, en couches successives de gomme arabique et de pigments bleu et or. Ce qui a inspiré cette technique ? En premier lieu, les photographies populaires de paysages exotiques qui pouvaient servir d’illustrations sur des papiers décoratifs en Europe aux 17e et 18e siècles. Mais aussi les papiers dorés-gaufrés inspirés des tissus importés d’Orient (les « indiennes ») que l’on pouvait trouver à cette époque – ornementés de motifs botaniques ou zoologiques. Ainsi, Laurent Millet, loin de se complaire dans une esthétique conservatrice, met en tension le passé de la photographie avec son présent.

À l’origine de cette découverte, il y a une résidence de création en Indonésie, au cours de laquelle l’artiste est subjugué par la profusion dense et la luxuriance de la végétation présente dans les forêts tropicales. À la fois enveloppante et hostile, cette nature l’inspire et lui permet d’imaginer un espace inaccessible, toujours inscrit dans un ailleurs propre au fantasme. Au cœur de ce travail, l’illusion. « Les différents régimes illusoires sont des manières assez extraordinaires de révéler le rapport à l’image », déclare-t-il. Une particularité de ce travail de Laurent Millet est qu’il est profondément en interaction avec les manifestations de la lumière environnante : « Là où ces tirages sont les plus beaux, c’est lorsque l’on peut les percevoir avec un éclairage assez faible », explique-t-il même. Selon l’exposition, les couleurs ressortent ou s’atténuent sensiblement. L’artiste tente notamment de reproduire les phénomènes des jeux d’ombre des feuilles sur un rideau : certains triptyques de sa série se contemplent alors à la manière de paravents japonais. L’œuvre de Laurent Millet permet ainsi des croisements nouveaux entre art et techniques, et par son geste, tente de réinventer la représentation photographique.

© Laurent Millet, Hespérides
© Laurent Millet, Hespérides
© Laurent Millet, Translucent mould of me
© Laurent Millet, L’Astrophile (2017)
© Laurent Millet, Sans titre, comme bichromatée (2023)
© Laurent Millet, Un architecte comme les autres, gomme bichromatée
© Laurent Millet, Un architecte comme les autres
© Laurent Millet, L’Astrophile (2017)
© Laurent Millet, Je croyais voir un piège (2011), gomme bichromatée
© Laurent Millet, Je croyais voir un piège (2011), ambrotype
À lire aussi
Adam Jeppesen : le wabi-sabi au service des forces invisibles
© Adam Jeppesen
Adam Jeppesen : le wabi-sabi au service des forces invisibles
Né au Danemark, Adam Jeppesen explore une approche expérimentale et transdisciplinaire de l’art. Ses séries The Pond et Mæra, qui…
25 janvier 2024   •  
Écrit par Milena III
Ces séries de photographies qui expérimentent avec le médium
© Margaret Lansink
Ces séries de photographies qui expérimentent avec le médium
Depuis ses débuts, photographes et plasticien·es repoussent les limites du médium en s’inspirant de techniques diverses, du cyanotype aux…
17 janvier 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine

Explorez
15 séries qui célèbrent l'automne
15 séries qui célèbrent l’automne
Le soleil se fait de plus en plus discret, les feuilles commencent doucement à changer de couleur, quitter sa couette le matin se fait de...
09 octobre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Retrouvez Fisheye au Salon de la Photo 2025 !
Untitled, 2008 © Anna Di Prospero
Retrouvez Fisheye au Salon de la Photo 2025 !
La grande halle de la Villette accueille, du 9 au 12 octobre 2025, la nouvelle édition du Salon de la Photo. Rendez-vous en ce début...
08 octobre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
Speak the Wind, 2015-2020 © Hoda Afshar, Courtesy de l'artiste et de la Galerie Milani, Brisbane, Australie.
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye vous parlent de certaines des expositions du moment et de sujets qui...
05 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
La première photographie qui t’a marquée et pourquoi ? © Jenny Bewer
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
15 séries qui célèbrent l'automne
15 séries qui célèbrent l’automne
Le soleil se fait de plus en plus discret, les feuilles commencent doucement à changer de couleur, quitter sa couette le matin se fait de...
09 octobre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Flore Prébay : De deuil et de papier
Iceberg, de la série Deuil blanc © Flore Prébay
Flore Prébay : De deuil et de papier
Du 16 octobre au 30 novembre 2025, la Fisheye Gallery présente Deuil blanc, de Flore Prébay, dans le cadre des Rencontres photographiques...
09 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Oxalis (détail), 2024 © Pooya Abassian
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Lee Ufan Arles et la Maison Guerlain ont annoncé hier, à la Guerlain Academy, le nom du troisième lauréat de leur prix Art &...
08 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
Residency InCadaqués 2025 © Antoine De Winter
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
La rentrée scolaire est souvent synonyme de foisonnement d'expositions. Pour occuper les journées d'automne et faire face à la dépression...
08 octobre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine