Laurent Millet explore une multitude de techniques anciennes afin d’imaginer des œuvres hybrides. Hespérides, véritable jardin des merveilles en grande dimension, s’inspire en partie des méthodes décoratives du 18e siècle – loin d’une quelconque nostalgie.
« La photographie, comme le cinéma, est un médium plutôt “pur” : elle peut tout absorber, déclare Laurent Millet. Je m’appuie sur cette capacité qu’elle a de pouvoir changer les choses de format (un texte, un paysage…) », poursuit-il. Dans le travail de cet artiste qui vit à La Rochelle, en effet, une sculpture devient un paysage, les limites des objets s’estompent et le jeu des formes peut se déployer avec fantaisie et malice. Laurent Millet ne se contente pas seulement de capturer et de détourner les objets contemplés : il les fabrique également lui-même. « Souvent ces objets ont un point commun avec la photo : ils possèdent une façade qui est souvent différente de ce qu’ils sont réellement, ce qui leur permet d’entrer dans un jeu avec les apparences et l’imaginaire », détaille-t-il. Le défi, en tant que photographe devient alors d’inventer une nouvelle manière de faire passer ces objets de la 3e dimension au 8e art – du réel à l’image.
Aujourd’hui artiste pluridisciplinaire et enseignant à l’école des Beaux-Arts d’Angers, Laurent Millet s’est formé en autodidacte, avant de devenir à 19 ans l’assistant de Lucien Clergue – l’un des pères fondateurs des Rencontres d’Arles. Grâce à une approche plastique, Laurent Millet fait de son travail une œuvre traversée par l’histoire de la photographie. « Je pars toujours de références pour mes images : cela peut être des œuvres d’artistes, des pages d’encyclopédie, ou encore le travail d’un orfèvre allemand du 17e siècle… », explique-t-il. Les thématiques qui traversent son œuvre ont généralement beaucoup à voir avec les sciences et la pédagogie des sciences, entre autres – comme ses séries Somnium ou L’Astrophile. Mais c’est un autre genre présent dans son travail qui a particulièrement attiré notre attention : la photographie qui explore de nouvelles manières de représenter le paysage, en employant, paradoxalement, des procédés anciens de tirage.
Un travail d’illusionniste
Le jardin imaginé dans Hespérides – du nom de ce lieu mythologique réservé aux dieux et gardé par des muses du même nom – résulte d’un travail sur cyanotype et avec gommes bichromatées, en couches successives de gomme arabique et de pigments bleu et or. Ce qui a inspiré cette technique ? En premier lieu, les photographies populaires de paysages exotiques qui pouvaient servir d’illustrations sur des papiers décoratifs en Europe aux 17e et 18e siècles. Mais aussi les papiers dorés-gaufrés inspirés des tissus importés d’Orient (les « indiennes ») que l’on pouvait trouver à cette époque – ornementés de motifs botaniques ou zoologiques. Ainsi, Laurent Millet, loin de se complaire dans une esthétique conservatrice, met en tension le passé de la photographie avec son présent.
À l’origine de cette découverte, il y a une résidence de création en Indonésie, au cours de laquelle l’artiste est subjugué par la profusion dense et la luxuriance de la végétation présente dans les forêts tropicales. À la fois enveloppante et hostile, cette nature l’inspire et lui permet d’imaginer un espace inaccessible, toujours inscrit dans un ailleurs propre au fantasme. Au cœur de ce travail, l’illusion. « Les différents régimes illusoires sont des manières assez extraordinaires de révéler le rapport à l’image », déclare-t-il. Une particularité de ce travail de Laurent Millet est qu’il est profondément en interaction avec les manifestations de la lumière environnante : « Là où ces tirages sont les plus beaux, c’est lorsque l’on peut les percevoir avec un éclairage assez faible », explique-t-il même. Selon l’exposition, les couleurs ressortent ou s’atténuent sensiblement. L’artiste tente notamment de reproduire les phénomènes des jeux d’ombre des feuilles sur un rideau : certains triptyques de sa série se contemplent alors à la manière de paravents japonais. L’œuvre de Laurent Millet permet ainsi des croisements nouveaux entre art et techniques, et par son geste, tente de réinventer la représentation photographique.