Ouvert en avril 2022, dans une ancienne caserne de pompiers au cœur du Havre, le Musée du Regard conjugue avec pertinence engagement social et exigence photographique. Découverte.
Celles et ceux qui ont déjà fréquenté le Festival du Regard à Cergy-Pontoise ne seront pas étonné·es de retrouver la dimension humaniste qui habite le Musée du Regard, installé depuis l’an dernier dans une ancienne caserne de pompiers, à dix minutes de la gare du Havre. Le superbe espace, composé de deux salles de 250 et 280 m2, a pris place au sein de la résidence Le Blason, qui compte une centaine d’appartements sociaux récemment réhabilités. Cette proximité entre les publics populaires et des lieux de culture est une préoccupation essentielle d’Éric Vialatel. Collectionneur et mécène à l’origine du Festival du Regard, il est aussi à l’initiative des Maisons de Marianne, un habitat inclusif et intergénérationnel. Un ADN qui l’a également conduit à tra- vailler avec Alcéane, premier bailleur social de la communauté urbaine Le Havre Seine Métropole. « L’idée étant d’amener l’art à des personnes qui n’auraient jamais poussé les portes d’une galerie ou d’un musée », précise Éric Vialatel.
Le public répond présent
Ce qui marque quand on entre dans le Musée du Regard, c’est la qualité de l’accrochage. On s’en est rendu compte à travers les trois premières expositions qui ont présenté successivement la collection photo d’Éric Vialatel et les œuvres du plasticien François Trocquet (avril-juillet 2022), le travail de Marc Riboud accompagné des textes de Catherine Riboud (septembre- décembre 2022), et Catherine Balet (mai-juillet 2023). La nou- velle exposition met à l’honneur le travail exceptionnel de Denis Brihat, un photographe français trop méconnu (voir encadré). Les habitants du Blason, comme tous les Havrais, viennent visiter ces expositions – dont l’entrée est toujours gratuite –, et l’on dénombre aussi pas mal de Parisien·nes en mal de culture qui arpentent les lieux ouverts tous les mercredis, vendredis et samedis, de 14 à 19 heures.
Sylvie Hugues et Mathilde Terraube, qui pilotent le Festival et le Musée du Regard, font preuve d’une formidable énergie pour mener à bien ce travail de militantes. Une mission dans laquelle elles s’impliquent personnellement (animation de stages, visites guidées, actions pour les scolaires, éducation à l’image…) malgré des budgets restreints. La situation les a conduites à créer une association pour accéder à d’autres sources de financement. D’autres expositions sont à l’étude, de même que des collabo- rations avec diverses structures de la ville (l’université, l’école des beaux-arts, les Jardins suspendus…). Et la nouvelle vient de tomber : après un an d’absence, la prochaine édition du Festival du Regard se tiendra à Cergy-Pontoise à l’automne 2024.
La nature au coeur de Denis Brihat
Le Musée du Regard rend hommage à Denis Brihat, l’un des pionniers de la photographie française du siècle dernier. Né en 1928 et lauréat du prix Niépce en 1957, cet amoureux de la photographie argentique se considère comme un artisan au sens le plus noble du terme. En 1958, il quitte une position confortable à Paris pour s’établir dans le Lubéron où il met au point, tel un alchimiste, une technique de virage chimique qui réinvente les couleurs des fleurs et des fruits qu’il fait pousser dans son jardin. En 1967, il est l’un des premiers Français à être exposé au MoMA de New York par John Szarkowski, en compagnie de Jean-Pierre Sudre et du Belge Pierre Cordier. Il est aussi l’un des compagnons de route des Rencontres d’Arles, avec Lucien Clergue, et de la galerie du Château d’eau à Toulouse avec Jean Dieuzaide, au début des années 1970. Ses tirages délicats aux couleurs subtiles ont rejoint les plus prestigieuses collections de photographie. Cette rétrospective en 70 images explore sept décennies d’une œuvre trop souvent méconnue, malgré le Grand prix de la photographie de la Ville de Paris obtenu en 1987.