Dans There is nothing new under the sun, la photographe hongroise Kata Geibl fait le portrait allégorique de la société contemporaine. Esthète, elle utilise la beauté pour mettre en lumière nos pires travers.
« Cette série est née de ma propre anxiété. Une émotion que je ressentais chaque jour, en lisant l’actualité. Notre monde change rapidement, et tous les jours nous faisons face à des enjeux sociétaux, politiques et environnementaux que nous devons résoudre, sans parvenir à trouver l’envie d’agir »
, confie Kata Geibl. Après avoir documenté la foi et la science, dans Sisyphus, la photographe venue de Budapest s’est plongée dans l’étude de l’état du monde. « Je voulais créer quelque chose de complètement différent. À chaque échange avec mes amis, nous finissions par débattre de manière ennuyeuse du capitalisme et du réchauffement climatique. J’ai songé qu’il devait exister un autre moyen de dialoguer, par les émotions et les jeux d’associations », précise-t-elle. Mystique et onirique, There is nothing new under the sun marque la volonté de l’artiste de sensibiliser le public à ces problèmes, à travers la poésie. Un carnet visuel jouant avec la splendeur pour incarner nos débordements.
Entre terreur et émerveillement
Une échelle descendue du ciel, un cheval aux yeux bandés, un corps musclé, figé en pleine action… Chaque image de Kata Geibl s’impose comme une allégorie, illustrant les excès du néolibéralisme, de l’impact de l’homme sur son environnement, ou de son contrôle sur les animaux. « J’ai notamment photographié des athlètes aux allures de dieux grecs – une manière de mettre en lumière le pouvoir de l’être humain sur la nature. Cette image évoque également les Jeux olympiques, sports d’élite représentant l’idée de compétitions entre les nations, et le désir de dépasser les limites humaines », raconte la photographe. Un autre cliché, dévoilant une maquette en feu, est inspirée par la théorie des Simulacres de Baudrillard. Dans un essai, le philosophe argumentait que la Guerre du Golfe n’a pas eu lieu, et que les médias ont créé de toute pièce une vision spectaculaire du conflit grâce à la télévision. « Cette hypothèse est tout à fait pertinente aujourd’hui, à l’ère des fake news. Les références à une réalité externe n’existent plus, et nous nous contentons des affirmations qui remplacent les faits », poursuit l’artiste.
Véritables métaphores filées, faisant écho aux nombreuses contradictions d’une société contemporaine en perdition, les images de Kata Geibl nous emportent dans un alter-monde aussi charmant qu’horrifiant. Inspirée par les films Melancholia de Lars von Trier et Stalker d’Andreï Tarkovski, la photographe construit un univers magnifique, où l’effondrement de la civilisation ne peut qu’être admiré. Face à ces compositions délicates et ces horizons pastels, la frontière entre la terreur et l’émerveillement se brouille. En ayant recourt à un esthétisme travaillé, elle dénonce, en contrepoint, notre faculté à admirer la beauté d’une catastrophe, en ignorant ses terribles conséquences.
© Kata Geibl