Nos coups de cœur de la semaine, Anthony Saroufim et Jude Vadée, fréquentent la vie nocturne underground. Si le premier explore les fêtes insoupçonnées qui se déploient au sein de la capitale libanaise, le second documente les espaces de sous-cultures queer et celleux qui y évoluent.
Anthony Saroufim
Après un long passage à Paris, Anthony Saroufim, né en 1990, a décidé de revenir à son Liban natal, et en particulier, à ses nuits et aux âmes libres qui les traversent. Travail participatif au long cours, entamé en 2019, Les Indisciplinés raconte, sans jugement, la sauvagerie nocturne au cœur de Beyrouth, la liberté insouciante et la beauté sans compromis. « Il ne s’agit pas simplement de documenter, mais d’inviter le·a spectateurice à ressentir ces moments de libération et à plonger dedans », révèle-t-il. Cet auteur trouve dans les contradictions, les crises et les habitant·es de cette ville dont il est originaire tout ce qui peut le nourrir, artistiquement et spirituellement. Les moments de liesse sont capturés pour eux-mêmes, mais aussi parce qu’ils permettent l’expression des identités, peuvent être animés par l’idée de rébellion, de « résistance aux normes, aux attentes sociales, à la conformité », énumère le photographe. « Je ne cherche pas à glorifier la “joie de vivre” libanaise, ni à romancer la résilience en période de crise. Il s’agit plutôt de la peur – celle de ne jamais vraiment vivre à nouveau », confie-t-il. En quête d’intensité et d’expériences immersives, l’artiste explore une pratique authentique et spontanée, en communion avec les subjectivités documentées.
Jude Vadée
Performeur·ses, artistes drag, musicien·nes, stylistes, Jude Vadée raconte ses rencontres fécondes et salvatrices. « J’ai envie que mon travail soit une contribution à la création d’une archive queer, capable de créer un sentiment d’appartenance pour les personnes à la marge, et permettant d’être en contrôle de notre histoire », confie-t-il. Cet artiste visuel trans, passé par l’école des Gobelins, vit à Berlin depuis la fin de ses études. Hors de la binarité et loin de la normativité, il existe en nous des manières d’être belles et monstrueuses, sublimes et vivantes, qu’il s’agit à présent d’affirmer haut et fort. C’est ce à quoi s’engage Jude Vadée, qui s’intéresse au 8e art en tant qu’outil de savoir et révélateur de vérité au 20e siècle, à travers la photo médicale, légale et juridique. « L’image a contribué à fabriquer des normes corporelles, à décider de ce qui était un corps normal et un corps déviant, affirme-t-il. Un corps contre-nature, mutant, monstrueux. » Qu’elles soient trans, intersexes, handicapées, racisées et/ou neuro-diverses, un grand nombre de personnes étaient représentées avec déshumanisation et diabolisation. Apparue dans la continuité de sa pratique du dessin, la photo représente aujourd’hui pour lui « un intermédiaire entre lui et le monde, qui (lui) permet de faire communauté avec les autres », déclare-t-il. Explorer ces esthétiques de l’a-normalité, c’est ainsi répondre à « cent années de censure, d’indifférence et de répression », explique-t-il, et de se réapproprier cette pratique en tant que forme inédite d’activisme.