« J’y vais » ? « Peut-être » ? Facebook détermine aujourd’hui en grande partie votre agenda. Depuis 2016, le photographe américain Eric Pickersgill s’intéresse aux faux événements sur la Toile et nous propose, avec sa nouvelle série No Show, une analyse des pratiques sur les réseaux sociaux. Ce projet multidimensionnel est exposé lors de la seconde édition du Mérignac Photographic Festival. Cet article fait partie de notre dernier numéro.
Souvenons-nous un instant du projet Removed, et plus précisément de la photo d’un couple installé dans son lit, chacun devant un smartphone qui a été effacé de l’image. Ce cliché d’Eric Pickersgill a fait le tour de la Toile, et l’auteur aborde aujourd’hui, avec sa série NoShow, l’omniprésence de la technologie dans nos vies quotidiennes. En mai 2016, le photographe américain remarque que certains de ses amis indiquent participer à un événement Facebook. La page en question, intitulée « Fred Durst LIVE at Rose’s Department Store », annonçait la venue du groupe Limp Bizkit dans la commune de Morganton, en Caroline du Nord. « Un événement qui ne semblait pas réel », nous confie-t-il. Intrigué par le nombre de « J’y vais » et la couverture de la manifestation par la presse locale, il se rend lui aussi au supermarché discount. Là-bas, il photographie les participants esseulés du concert qui n’aura pas lieu. Il rencontre aussi l’homme qui a créé la page. À ce sujet, Eric nous révèle que « pendant tout le rendez-vous, il a tenu son personnage, il a maintenu son histoire : il savait que quelque chose allait se passer, mais il ne pouvait révéler sa source. En discutant avec lui, j’ai compris qu’il s’était amusé en organisant cet événement, en inventant un mystère dans sa ville. »
Des écrans à la vraie vie
Le terrain de jeux d’Eric Pickersgill est double. D’abord, il a opéré sur Facebook en traquant les supercheries virtuelles. Car « Facebook est le réseau social le plus couramment utilisé. Il est aussi, peut-être, celui qui manipule le plus, car il mélange le commercial et le personnel. Il brouille la ligne entre les deux. C’est aussi le seul média où se répandent autant de faux événements », explique-t-il. Et puis, il s’est éloigné des écrans et s’est aventuré sur le terrain, dans la vraie vie. Les mois qui ont suivi le « Fred Durst LIVE at Rose’s Department Store », il a arpenté les États-Unis, d’Atlanta à Chicago, et a assisté à une quinzaine de fakes annonçant des concerts : « J’ai passé environ huit mois à assister à autant de rassemblements que mon agenda le permettait », précise-t-il. La musique était tendance pour les trolls : il suffisait de « choisir un groupe de la fin des années 1990, du début des années 2000, et dire que celui-ci allait jouer dans un centre commercial local », détaille le photographe. C’est d’abord par curiosité qu’il a renouvelé l’expérience, il lui fallait savoir pourquoi les participants étaient venus, et s’ils étaient dupes. Au-delà du désir de documenter ce phénomène, il souhaitait montrer « comment le public reçoit les informations », et les impacts de Facebook sur la réalité. S’il dénonçait avec Removed l’omniprésence des smartphones, il signe aujourd’hui avec NoShow une nouvelle étape de sa démonstration. Car Facebook a le mérite de rassembler des internautes – virtuellement et physiquement –, mais il modifie aussi l’opinion et influe sur les actions des individus. Ces supercheries affectent la confiance et le jugement critique de chacun. Eric est aussi pessimiste sur l’avenir du réseau social, et pense que ce média continuera à diviser les personnes, car il expose « les utilisateurs à un contenu qui n’appelle ou ne soutient pas leur opinion ou leur vision du monde. Je ne peux imaginer un algorithme qui empêcherait la création et la diffusion de fausses informations, puisque l’opinion laisse la porte ouverte à l’imprécision », ajoute-t-il.
À Mérignac, le public pourra découvrir une exposition pluridisciplinaire. Afin de rendre ces non-expériences plus réelles, le photographe a choisi une scénographie immersive. Ses images seront associées à des installations vidéo et audio. Eric Pickersgill espère ainsi « rassembler de véritables personnes ».
© Eric Pickersgill