Fisheye : Pourquoi es-tu devenu photographe ?
Fabien Fourcaud : Il y a quelque temps j’aurais pu répondre par amour de la lumière, de l’espace et du temps. La photo m’est tombée dessus un peu par hasard. J’avais une vingtaine d’années, je faisais des courts métrages en duo avec un ami et notre éloignement physique à fait que le rythme n’était pas suffisamment soutenu à mon goût. J’ai rapidement eu besoin de combler ces temps morts par un peu de photographie, pour travailler mon aptitude à comprendre et capter la lumière. Progressivement l’un a remplacé l’autre. Aujourd’hui ça a un peu évolué, comme si la photographie et moi formions un vieux couple qui n’a cesse de se réinventer. Enfin, ce n’est pas simple mais on essaye.
Comment décrirais-tu ton approche de la photographie ?
On dit souvent de mes photos qu’elles ont quelque chose de proche de la peinture. C’est assez amusant d’imaginer une photo, qui imite de la peinture, qui imite une photo, qui imite le vrai. J’essaye d’ailleurs de creuser un peu plus cette idée de mimétisme, de reproduction et de croyance en la photographie dans ma dernière série Sanctuaires.
Peux-tu nous présenter, en quelques lignes, ta série Hors saison / Off season ?
Une fois par an les stations balnéaires construites exclusivement à l’attention des vacanciers se retrouvent délaissées par leur usagers. Je suis parti explorer les transformations que cet abandon opère sur les paysages et ses objets du quotidien. Nous sommes assez loin des photographies de friches puisqu’ici l’abandon n’est que temporaire et cyclique. De cette atmosphère de ville en torpeur se dégage une inattendue et mélancolique beauté.
Comment t’es venue cette idée de photographier les temps morts de ces paysages ?
J’ai été élevé dans le sud-est de la France où, hors saison, les stations balnéaires restent fortement fréquentées. La population y est certes différente, mais les lieux sont toujours habités. J’avais envie d’explorer ce quotidien de mon enfance transformé par le prisme du dépaysement. J’aime cette sensation d’étrangeté familière.
Où ont été prises ces images ? Que représentent ces lieux à tes yeux ?
Elles viennent principalement de la cote d’opale, je n’y étais jamais allé avant ce projet. Mais dès le premier coup d’œil j’ai été frappé par la variété des gris, du ciel au sable en passant par la mer et les murs. J’ai terminé cette série pendant une période de ma vie assez compliquée, où faire le choix de la photo, et indirectement celui de rester sur ces lieux, n’était pas évident pour mon entourage. Rester c’était m’affirmer. Alors ces paysages seront toujours associés à ce choix et aux événements qui ont suivit.
Est-ce que la solitude et l’abandon sont des sujets faciles à photographier ?
Disons que je suis assez solitaire de nature. Alors en soit, l’isolement nécessaire à ce genre de série était un prolongement de mes habitudes. La complexité réside plus dans mon besoin d’avoir à la fois un œil neuf sur mon sujet et suffisamment de temps pour rentrer en connexion avec l’environnement. C’est beaucoup passé par des promenades solitaires, de station en station. Le besoin de sentir le temps qui passe, le corps qui s’abandonne et de m’imprégner à mon tour de cette solitude. Et puis le fait que les paysages composent mon sujet m’a facilité la tache. Je crois que si j’avais dû photographier la solitude d’êtres humains, j’en aurais été autrement bouleversé.
Quelles ont été tes inspirations, tes références, lorsque tu t’es lancé dans Hors saison / Off Season ?
Difficile de ne pas parler de Stephen Shore, forcément. Même si j’essaye de « tuer le père », il reste une de mes principales influences dans sa manière d’appréhender le paysage et les non lieux. Comment ne pas évoquer aussi Depardon et son tour de France. J’aime beaucoup son travail mais j’ai cherché à m’en éloigner d’une manière ou d’une autre, sujet oblige. Je n’avais pas envie d’être dans un jeu de reproduction. Et je ne sais d’ailleurs pas si j’y suis parvenu, mais c’était constamment là, quelque part dans ma tête. Reste quand même un souvenir de son film « Journal de France », où il explique qu’il faut se méfier d’une trop belle lumière.
Quelles images en particulier avais-tu l’intention de réaliser quand tu as commencé la série ?
J’avais envie d’explorer le temps, d’explorer des paysages coincés dans un entre-deux spatial et temporel, d’y trouver une certaine forme d’élégance. Je voulais fuir tous les signes de dégradation ou autres signaux sociaux. J’ai beau parler de territoire, faire un constat, je ne souhaitais pas que ma série soit politique. C’est pour ces raisons que j’ai finalement fait le choix d’évacuer l’idée première d’insérer des portraits au cœur de la série. J’aimais pourtant l’idée de corps en torpeur. Mais dans ce dialogue entre l’homme et le paysage, j’avais peur de perdre le fil de la mélancolie recherchée pour tomber dans le social, voire même le pittoresque. De cette première idée, il reste pourtant dans mes tiroirs quelques images : un promeneur magnétiseur qui se disait être un robinet d’énergie, une retraitée qui me parlait des chakras de Nicolas Sarkozy, la réincarnation de l’assassin d’Henry IV et un militant de gauche désabusé.
Quelle est ton image préférée ? Pourquoi ?
J’étais déjà passé deux fois par ce lieu, sans rien y voir. Heureuse sensation quand d’un coup d’un seul, le paysage s’offre à toi, qu’il finit par t’accepter. Parce que je n’ai rien fait d’autre que prendre ce qui était là, comme si les deux précédentes fois, ça n’y était pas. Je me souviens encore de cette sensation : c’était comme atteindre une certaine forme de vérité. Aussi, cinq minutes plus tard on me téléphonait pour m’annoncer une horrible nouvelle, celle qui aura rendu ce voyage si spécial. Alors cette photo c’est pour moi l’horreur et la vérité, les deux à la fois.
Comment décrirais-tu cette série en trois mots ?
Torpeur. Mélancolie. Absence.
Propos recueillis par Marie Moglia
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→ L’intégralité de Hors saison / Off season est à retrouver sur le site de Fabien : www.fabienfourcaud.com
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