Exposé aux Rencontres photographiques de Guyane dont la 8e édition vient juste d’ouvrir, la série Primordial Earth de Léonard Pongo se déploie dans des scénographies complémentaires. De passage à Paris dans le cadre d’une conférence à la Sorbonne, le photographe s’explique sur les origines et l’ambition de ce projet protéiforme, toujours en cours.
Né en Belgique en 1988, Léonard Pongo vit et travaille entre Bruxelles et la République démocratique du Congo (RDC), où il a une partie de sa famille et de ses origines. Son œuvre est aujourd’hui reconnue et exposée un peu partout dans le monde : Lubumbashi, Bamako, Pékin, Cayenne…, et dans des lieux comme la Tate à Londres ou au Palais des Beaux-Arts (Bozar) de Bruxelles.
Le chemin qui l’a conduit à réaliser les images de la série Primordial Earth présentées actuellement à Saint-Laurent-du-Maroni mérite d’être retracé pour comprendre la portée de son travail. Si le début de sa carrière commence avec la presse, comme pour beaucoup de photographes, Léonard Pongo délaisse progressivement la recherche de « l’instant décisif » pour s’intéresser aux « moments faibles », aux temps de l’entre-deux qui, à leur manière, expriment beaucoup. Il s’affranchit d’une prétendue maîtrise de la forme et du cadre pour se laisser absorber par les situations qu’il rencontre. Tout en poursuivant ses commandes pour les médias internationaux, principalement au Congo, il utilise ses relations familiales pour explorer un Congo qu’il découvre progressivement. N’hésitant pas à travailler avec la presse quotidienne, il se familiarise avec le lingala – langue largement répandue en RDC – et développe le projet The Uncanny (en référence à la notion d’inquiétante étrangeté). Une série composée de nombreux portraits et de scènes qu’il choisit de montrer dans des noirs et blancs intenses et contrastés. Une mosaïque qu’il assemble autant qu’elle le construit, de 2011 à 2018, et trouve son aboutissement dans un ouvrage éponyme publié aux éditions Gost Books, à Londres, en août 2023.
Entrer dans la danse
Prenant goût à l’émancipation et à la liberté des formes qu’il expérimente, Léonard Pongo s’intéresse de plus en plus aux liens qui le rattachent à ce pays et à ses paysages. Délaissant l’expertise au profit de l’expérience, il entreprend avec Primordial Earth une « pérégrination dans les paysages ». La photographie devient le lieu où il injecte plusieurs types de contenus pour construire une narration non linéaire dans laquelle il impose ses courts-circuits. Les images s’affranchissent de leurs formes et formats traditionnels, investissent l’espace de l’installation, s’impriment sur des voiles, se transforment en tissages, s’animent en vidéos, deviennent mouvantes, émouvantes. Comme celles accrochées sur de grandes toiles suspendues aux branches du manguier géant trônant dans la cour du bagne de Saint-Laurent-du Maroni.
Des images qui s’inscrivent parfaitement dans la thématique de cette 8e édition des Rencontres photographiques de Guyane placée sous l’égide du poète Édouard Glissant qui écrit : « Notre paysage est son propre monument. » Des clichés qui font écho aux travaux des autres photographes de l’exposition Panser les paysages (post)-coloniaux imaginée par la commissaire Estelle Lecaille. Bercées par les alizés, les images-paysages viennent frôler le public, les invitent à entrer dans la danse. Toujours à la recherche de nouvelles expériences visuelles, l’artiste modifie les capteurs numériques de son boîtier afin de laisser filtrer des longueurs d’onde invisibles à l’œil. L’appareil se transforme alors en une sorte de sismographe qui capte les vibrations du monde, telle la baguette d’un sourcier. C’est dans cette aventure avec les paysages à l’énergie contagieuse que Léonard Pongo parvient à traduire dans ses images une poésie aussi mystérieuse qu’envoutante.