Les photographes contemporains rendent hommage à Sabine Weiss

Les photographes contemporains rendent hommage à Sabine Weiss

Le mois dernier, Sabine Weiss s’est éteinte, laissant derrière elle une œuvre photographique poignante. Un héritage dont les jeunes auteurs nous parlent, aujourd’hui.

Décédée le 28 décembre 2021, Sabine Weiss était la dernière représentante de l’école humaniste française. Elle laisse derrière elle une œuvre à l’empathie touchante et aux multiples facettes, s’approchant au plus près de l’être humain. C’est en 1924 que l’artiste naît, à Weber en Suisse. Très jeune, elle commence à s’intéresser au 8e art, et réalise son apprentissage chez Boissonnas. En 1946, elle quitte Genève pour Paris, et devient l’assistante de Willy Maywald. Quatre ans plus tard, elle épouse le peintre américain Hugh Weiss et débute sa carrière de photographe indépendante. En 1955, trois de ses images sont sélectionnées pour l’exposition Family of Man au MoMA de New York – le début d’un parcours prolifique.

Au cours de sa longue carrière, Sabine Weiss a su mêler commandes et projets plus intimes, travaux de reportage, collaborations avec la presse nationale comme internationale, mode, publicité, portraits et sujets de société… Une œuvre complète et complexe marquée néanmoins par une tendresse certaine. Une justesse des émotions, une délicatesse toujours tournée vers l’autre. « Ce que j’aimais faire ? Photographier les gens de la rue, les gens de toutes catégories, témoigner de la diversité », nous confiait-elle, dans son salon, lors d’un entretien pour le parcours Elles x Paris Photo. Figure incontournable de la photographie, Sabine Weiss laisse derrière elle un héritage imposant. Un modèle, une écriture à part, qui continue, encore aujourd’hui, d’inspirer et d’émouvoir les auteurs contemporains. Et, dans un dernier hommage à cette grande figure du 8e art, nous avons choisi de leur donner la parole…

© Sabine Weiss

© Sabine Weiss / Elles x Paris Photo

Boby

« Si je suis sûrement l’un des photographes les plus incultes de l’histoire de la photo, je connais Sabine Weiss – enfin, pour être honnête, plus l’œuvre que la personne. C’est souvent le cas : il y a d’abord une image qui marque, que je jalouse, et puis, un jour, je vais tomber sur un livre, une expo, un article, et faire le lien. Ce que j’aime chez elle, c’est avant tout la spontanéité des clichés, sa façon de rendre beau ce qui est sous nos yeux. Il y a aussi cette dualité du reportage et du portrait, qui fait, je trouve, écho à ma pratique. Je retiens d’elle un véritable travail d’historienne de son époque. C’était une petite dame avec des chevilles inaccessibles, ce serait présomptueux de comparer ses créations aux miennes, mais peut-être qu’un jour, j’y arriverai… Un dernier mot ? “Weiss alors !” (rires) Plus sérieusement, je me demande ce qu’elle pensait esthétiquement de son époque. J’ai du mal avec les nouvelles architectures tristes, sans pierre et sans âme, et je m’interroge : faut-il ne plus vivre dans son époque pour enfin l’apprécier ? »© Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

© Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

Sylvie Hugues 

« Sabine avait cette façon d’être très simple et directe qui touchait les gens. Pas de calcul ni de stratégie, mais une spontanéité et une véritable générosité vis-à-vis de toutes les personnes qu’elle photographiait. Son travail n’a pas eu un impact direct sur le mien, en tant que photographe, mais disons que je me sens de la même famille. La famille des photographes qui étaient tout simplement humains, bienveillants et attentifs aux autres. En 2019, quand nous avons exposé sa série réalisée à Cergy-Pontoise, au sein du Festival du Regard, j’ai été marquée par le fait qu’elle se souvenait parfaitement des gens qu’elle avait photographiés il y a plus de trente ans auparavant ! Elle avait pas mal d’anecdotes à raconter à leur sujet et avait même gardé des contacts avec certains d’entre eux. 

Sa photographie intitulée « Rue des Terres au curé » (1954)moins connue que « je suis un cheval » réalisée en Espagne la même année – m’émeut profondément. Elle a été réalisée dans le cadre d’un reportage sur les prêtres ouvriers. On y voit deux enfants qui vont à la fontaine, un garçon et une fille en pantoufles. Le garçon porte un béret, un manteau, mais n’a pas de pantalon. La fillette une sorte de blouse, rien d’autre… On sent qu’il fait froid, qu’ils sont pauvres, mais c’est montré avec beaucoup de pudeur, tout en retenue…

La précision du cadrage, le sens de la lumière, sa force de caractère, son humour ravageur…  Il y aurait tellement de choses à dire… Mais surtout l’exigence qu’elle avait par rapport à son travail. “Oui celle-ci est très appréciée, elle est gentillette, mais ce n’est pas ma préférée”, pouvait-elle dire. À l’inverse, elle savait exactement quand une de ses photos était réussie. Sabine était comme ça, extrêmement lucide. Et son jugement était sûr. »

© Sabine Weiss

© Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

Elie Monférier

« L’héritage des photographes humanistes est monumental. Toute photographie prise aujourd’hui porte leur mémoire, dans ses strates les plus profondes. Leur œuvre innerve nécessairement la création contemporaine, et, venant après eux, tout auteur se doit de prendre position, entre rupture et continuité. Je demeure hanté par ses photographies de scènes religieuses. Il y a chez Sabine Weiss quelque chose d’essentiel dans les gestes les plus simples, un malheur extatique, une existence sublime. J’admire cette façon délicate qu’elle avait d’entrer en sympathie avec les gens, d’être la complice de leurs joies et leurs peines. L’un des grands enseignements de son œuvre, c’est l’ambiguïté qui s’en dégage : on oscille sans cesse entre légèreté et gravité. Elle avait la faculté de faire entrer les corps dans le cadre, de simplifier les gestes, d’accumuler les silhouettes, les drapés des vêtements, tout en parvenant à faire surgir les regards. Elle fabriquait sans cesse du mystère. Et, si je pouvais lui poser une dernière question, je lui demanderais ce qu’elle a trouvé dans l’humain que seule la photographie peut révéler. »© Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

© Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

Ella Bats 

« Son travail m’a permis de voir et comprendre un monde d’avant. J’aime comment elle capture l’humain, comment elle laisse vivre ses personnages dans ses photographies. Qu’elle retranscrive les moments de joies ou d’introspections, Sabine Weiss a toujours réussi à trouver les fragilités de l’humanité. Je pense que ce qui me touche le plus, c’est son travail autour de l’enfance. Elle capte le lâcher-prise et l’imaginaire incroyable qui habite la jeunesse. Cette image de l’enfant se tenant sur les mains, les jambes en lévitation par exemple. L’enfant la regarde en pleine acrobatie. J’imagine une rencontre, un instant d’interaction. Il ne s’agit pas que d’être là. Il s’agit de créer la rencontre. Le contact avec la rue et ce qui la fait vivre. Son travail sur le contraste m’inspire aussi beaucoup. Dans ses images, j’observe les formes graphiques de la rue découpant ses sujets pour les faire jaillir. Les ombres et lumières mettent en avant, en recul, ses scènes : la lumière raconte. Je retiens sa force, tirée de son statut de femme, qui a su ressurgir à une époque où la majorité des photographes était masculin. »  

© Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

© Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

Lucie Hodiesne Darras

« Je suis énormément inspirée par les travaux des photographes humanistes, comme Sabine Weiss, Sebastiaõ Salgado, Willy Ronis, Vivian Maier ou encore Diane Arbus. Je me retrouve dans leur volonté de mettre en lumière des personnes hors norme. Comme eux, j’ai cette curiosité insatiable de l’être humain, cette volonté de mettre en lumière ceux qu’on ne voit pas – ou qu’on ne veut pas voir – dans notre société. Sabine Weiss avait ce besoin de se sentir proche de son sujet, de rechercher la proximité, l’intimité. Il y a aussi l’importance du regard de la personne qu’on photographie. À mon sens, pour qu’un portrait soit réussi, et que le public ressente quelque chose, il faut capter les émotions. Le portrait du petit mendiant de Tolède m’évoque mon propre travail avec Lilou. Le regard de ce petit garçon me fait penser à celui de mon grand frère. Il possède cette même fureur de vivre, cette même confrontation entre renfrognement et innocence, cette pureté de l’âme par rapport à la vie… Au fond, ce que j’aimerais dire à Sabine Weiss, c’est merci, tout simplement. Pour ce qu’elle a offert au monde, pour tout ce qu’elle m’a appris. »© Sabine Weiss

© Sabine Weiss

Les Douches la Galerie accueille, jusqu’au 12 février, La poésie du regard, une exposition hommage à la grande artiste. Un événement à ne pas rater !

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