Dans sa série The ceremony, la photographe Camille Lévêque explore sa vie de couple et les rituels du quotidien. Esthétiques et délicates, ses photos racontent leur relation tout en douceur. Sur son site, Camille en fait une description tout aussi poétique que le sont ses images: “Sans nous en rendre compte, nous avons créé une vie semblable à une cérémonie. On vénérait tout, on était béni et on ne s’en lassait pas d’un jour à l’autre. On a construit un autel dédié à ce en quoi on croyait. Pierre par pierre, on a construit un autel à notre gloire. Un refuge fait de marbre soutenu par deux colonnes.” Pour Fisheye, elle a accepté d’en dire plus sur son travail.
Comment t’est venue l’idée de cette série sur les rites du quotidien ?
J’aime l’idée de documenter ma vie en image, comme un journal intime illustré. Je change très souvent de décor, de rythme, de quotidien, et je recrée partout un cocon. Par conséquent les objets, les photos ont une grande valeur pour moi, je les utilise pour m’approprier un endroit. J’ai une grande peur de la routine, de l’ennui, de la perte de temps, et essaie de sacraliser chaque jour en le transformant en une série de rites et non de rituels. Rite dans le sens religieux de la chose, qui nous dépasse, que l’on divinise. J’aime trouver la stabilité dans l’instabilité et y créer de petits rites, piliers d’un quotidien qui ne répète pas.
Quelle photo te rend particulièrement fière ?
J’aime particulièrement une photo de ma série The Ceremony, qui est prise de ma salle de bains et dans laquelle on voit un palmier et un toit par la fenêtre. Je l’ai en version jour et nuit, j’aime vraiment beaucoup celle de jour.
Tu as fait des études de photo ?
Non, je suis autodidacte. J’ai mis sur mon CV que j’avais une licence en art et photographie: comme j’habite aux États-Unis je contacte beaucoup d’Américains, ça les rassure. C’est complètement faux, mais je remarque que les gens aiment bien que les photographes aient fait des études supérieures, ça leur donne une légitimité. En réalité, j’ai appris le développement en chambre noire aussi et la prise de vue en studio.
Quand as-tu su que tu voulais être photographe ?
Je ne crois pas qu’il y ait eu un élément déclencheur, cela s’est fait progressivement. C’est devenu un réflexe, une nécessité: petit à petit, la photo s’est imposée à moi. Pourtant à un moment j’ai eu besoin de faire une pause. J’ai arrêté un moment, environ deux ans, écœurée notamment par le fait que tout le monde s’autoproclame photographe. C’est comme le graphisme, aujourd’hui n’importe qui jouant un peu avec Indesign est graphiste. Ça sature et pourrit la profession.
Que s’est-il passé pour tu reviennes à la photo ?
J’ai déménagé aux États-Unis, à Oakland en Californie: cela a été un moment déclencheur et je me suis remise avidement à la photographie. Une femme avait été abattue en bas de chez moi pour une histoire de drogue et la façon dont la rue s’est figée pendant une semaine, les cérémonies, les hommages, l’ambiance générale m’ont complètement replongée dans ce besoin de témoigner en image et d’illustrer des moments que je vis.
Qu’est-ce qui te plait dans la photo ?
J’aime beaucoup l’objet, la photo imprimée. J’aime les albums photo et les photos de famille. Je les collectionne depuis des années. J’aime la preuve par l’image, que j’utilise à contre-sens dans mon projet Dads. Cette idée de moment imprimé pour toujours me touche beaucoup. J’aime l’aspect imprévisible de la photographie argentique. En matière de style je suis très ouverte. J’aime autant les images cliniques, techniques qu’on peut voir dans la mode, que du rendu de polaroid ou appareil lomographique.
Quels photographes ou artistes t’inspirent ?
Énormément d’artistes m’inspirent. Dans la photographie, entre autres, les monuments Nan Golding, Martin Parr, Philip-Lorca diCorcia, Sophie Call, et la nouvelle génération avec Kent Andreasen, Ren Hang (deux jeunes photographes dont nous avons parlé dans Fisheye #13, ndlr), Lukasz Wierzbowski. Le mouvement surréaliste m’inspire au quotidien, ainsi que les génies de l’image que sont Andreï Tarkovski, Pier Paolo Pasolini et Sergueï Paradjanov. Je ne crois pas que ça se ressente vraiment sur mon travail fini, mais tous ces artistes m’inspirent et m’influencent au quotidien.
Sur quel projet travailles-tu actuellement ?
Je travaille depuis un an sur un projet qui n’a absolument rien à voir avec ce que je présente d’habitude, que ce soit dans l’approche ou la confection. C’est un travail de retouche et de « fine art photography », de composition, au numérique et en studio. Je m’y essaie et y prend goût. Cette série de photos s’appelle Dads et traite de l’absence par l’image.
Peux-tu nous en dire plus sur cette série ?
Ce projet se concentre sur la mise en lumière de la perte d’un proche, ou leur absence. Comme quelque chose de physique et par conséquent tente d’en capturer l’essence. J’ai reconstruit entièrement des albums de famille avec des images que j’aurais modifiées afin de raconter de façon plus juste l’histoire de notre vie. Je souhaite créer un inconfort visuel en recréant d’une certaine façon les photos avec lesquelles j’ai grandi. Elles auraient pu être jetées mais sont restées dans les albums, parfois froissées ou découpées, ce qui a toujours été à mes yeux, une affirmation très forte. On peut oublier les traits d’un visage mais la perte ou le sentiment de vide, restent. Dads est un témoignage d’absence brutal, un trou dérangeant dans la plus puissante pièce à conviction. Ce projet sera auto-publié cet hiver en collaboration avec ma soeur qui répond aux images en texte, et avec qui j’ai monté une maison de micro-édition il y a un an et demi.
Comment décrirais-tu ton style en quelques mots ?
Je dirais que je me concentre sur le cadrage, je l’espère pertinent, le sujet et l’endroit importent peu. J’aime les gros plans, de détail, la spontanéité du moment. En résumé, je m’attarde sur la façon d’angler mon image plus que sur le contenu de l’image même.
Propos recueillis par Hélène Rocco
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→ L’intégralité de la série
→ Son site web
→ Son Tumblr