lors d’un festival biannuel marquant la fin de la saison de pêche et du tourisme, à Koh Lipe, en Thaïlande, le dimanche 11 mai 2025. Le bois sera utilisé pour construire un bateau cérémoniel qui sera offert en offrande aux ancêtres de la tribu. La tribu Urak Lawoi a vu son mode de vie changer ces dernières années, s’orientant vers le tourisme plutôt que la pêche, en raison de l’épuisement des stocks de poissons dans ses eaux par la pêche commerciale. © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
La lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac vient d’être révélée : il s’agit de la photojournaliste Nicole Tung. Pendant neuf mois, elle est partie en reportage en Thaïlande, aux Philippines et en Indonésie, enquêter sur la surpêche en Asie du Sud-Est et son impact dramatique sur les droits humains et environnementaux. Découvrez son travail à l’occasion du festival Visa pour l’image.
Depuis 2009, le Prix Carmignac du photojournalisme soutient chaque année un reportage sur les violations des droits humains dans le monde. Sa 15e et dernière édition — la Fondation souhaitant désormais se concentrer au développement de son lieu d’exposition, la Villa Carmignac — a pour thème « La surpêche en Asie du Sud-Est, un drame humain et écologique ». Pour sélectionner le projet lauréat et son auteur·ice, un jury constitué d’expert·es de cette problématique et de l’image s’est réuni à Paris en septembre 2024 et s’est accordé sur un nom : Nicole Tung.
Née à Hong-Kong et diplômée de l’Université de New York, la photojournaliste indépendante documente depuis plus de 15 ans les conflits et les mouvements sociaux à travers le monde, de la guerre civile en Syrie à l’invasion russe de l’Ukraine. Après avoir couvert les séismes en Turquie et en Syrie en 2023, elle s’est attaqué grâce au Prix Carmignac à une thématique et à un genre qu’elle n’avait jusque-là qu’effleurés : « Avant de commencer ce projet en janvier 2025, la plupart de mes reportages concernaient des [évènements] d’actualité. C’était comme découvrir un tout nouvel univers, un nouveau vocabulaire », confie-t-elle. Mais après neuf mois d’investigation financés par la fondation, Nicole Tung est maintenant en terrain connu, même s’il lui semble que le sujet mériterait encore d’être approfondi, tant il soulève de questions et offre d’angles de traitement différents.
Il lui a donc fallu faire des choix. C’est pourquoi elle a axé son travail sur trois pays, la Thaïlande, les Philippines et l’Indonésie, où elle a exploré la maltraitance des travailleur·ses, l’impact des changements géopolitiques sur les pêcheur·ses locaux·les, et les conséquences écologiques de la surconsommation liée à l’industrie de la pêche commerciale. Autant de thèmes qui seront débattus lors de la discussion entre Charles Autheman, expert en droits humains, et la photojournaliste qui aura lieu le 5 septembre à midi à Visa pour l’image, qui se tient jusqu’au 14 septembre.
Une économie locale et un écosystème marin en péril
Aux Philippines, Nicole Tung constate les tensions croissantes entre les communautés de pêcheur·ses et les forces maritimes chinoises. Devant à la multiplication de leurs milices et garde-côtes dans les eaux de la mer de Chine méridionale, nombre de locaux·les perdent leurs moyens de subsistance. « La plupart des pêcheurs ont vu leurs prises chuter fortement et perdu jusqu’à 50 % de leurs revenus. D’autres ont abandonné la pêche pour l’agriculture, trop intimidés par les attaques ou les abordages de bateaux chinois, qui les chassent de leur zone de pêche », explique-t-elle. Si la situation dure déjà depuis des années le long des côtes, elle touche de plus en plus de populations. « La communauté de Rizal n’a commencé que récemment à subir les agressions chinoises dans sa zone, car ils estiment que la Chine étend sa présence autour du récif Sabina, au large de Palawan », précise la reportrice. Pour les pêcheur·ses artisanaux·les, impuissant·es « face aux navires commerciaux qui vident sans fin la mer de ses poissons », les conséquences économiques sont lourdes.
Autre victime de cette industrie de plus en plus intensive : l’environnement. Le commerce indonésien d’ailerons et d’os de requin vers la Chine et Hong Kong, par exemple, participe à sa dégradation. « Les requins sont des prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire, essentiels à la santé des océans », nous apprend Nicole Tung. De nombreuses espèces dont le commerce est réglementé par la CITES (Commerce international des espèces sauvages) ne sont cependant pas protégées, « malgré l’effondrement des populations de requins depuis plusieurs décennies ». Et celles qui le sont par l’Indonésie n’échappent pas à la vente illégale, aujourd’hui en hausse. Or « moins de requins signifie des océans moins sains », avertit la photojournaliste. Ces derniers ne sont pas seuls à avoir besoin d’être défendus : les droits humains, bafoués dans ce milieu où les conditions de travail sont parfois plus que déplorables, sont, eux aussi, en péril.
Luar est l’un des plus grands marchés de requins en Indonésie et en Asie du Sud-Est, d’où les ailerons de requins sont exportés vers d’autres marchés asiatiques, principalement Hong Kong et la Chine, où les os sont utilisés dans des produits cosmétiques également vendus en Chine. La viande et la peau de requin sont consommées localement comme une importante source de protéines. Ces dernières années, face aux vives critiques suscitée par l’industrie non réglementée de la pêche au requin, le gouvernement indonésien a cherché à mettre en place des contrôles plus stricts sur la chasse commerciale des requins afin de trouver un équilibre entre les besoins des pêcheurs et la nécessité de protéger les populations de requins en déclin. © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
L’esclavage en mer, du passé ?
« L’une des différences majeures [entre les trois pays] réside dans la manière dont [ils] protègent les droits de leurs travailleurs, notamment les migrants », précise Nicole Tung. En Thaïlande, les révélations de 2015 sur l’esclavage en mer ont contribué à la mise en place de réformes luttant contre la pêche INN (illégale, non déclarée et non réglementée). Mais ces progrès sont aujourd’hui menacés par le rapprochement entre le gouvernement thaïlandais et l’industrie de la pêche : réclamés par les grandes entreprises nationales, des reculs sur lesdites lois sont actuellement débattus au Parlement. « Ces changements réduiraient la transparence et la responsabilité de l’industrie, ainsi que le contrôle des engins de pêche, [sur les transbordements en mer] et des conditions de travail », développe la photojournaliste.
Quant à l’Indonésie, les restrictions sont déjà beaucoup moins nombreuses pour les organismes étrangers « qui recrutent des travailleurs issus de milieux défavorisés pour les faire travailler sur leurs navires sans véritables garanties », déplore la reportrice. Elle développe : « Sur les navires commerciaux, les pires étant les navires chinois, les abus sont constants : salaires impayés, conditions sanitaires déplorables, manque d’eau potable et de nourriture, sans compter l’impossibilité de quitter le bateau, parfois pendant des mois ou des années, ce qui accroît l’isolement de l’équipage et mène parfois au suicide. »
Face aux violents témoignages auxquels elle a été confrontée, Nicole Tung se déclare « très choquée du manque de mesures prises, mais aussi de notre indifférence en tant que consommateurs ». Incitant le public à s’informer sur la provenance de ses aliments et à privilégier la pêche artisanale locale, elle appelle à une prise de conscience. Son travail, fin et puissant, vient précisément tirer la sonnette d’alarme.
filets fantômes (filets de pêche perdus ou abandonnés par des pêcheurs), ce qui lui a causé de graves blessures aux deux nageoires avant. © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
de ses produits. La ville abrite de nombreuses installations de transformation où le poisson, principalement le thon, est conditionné ou mis en conserve pour être vendu sur le marché philippin et exporté dans le monde entier. © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.