Photographe de profession depuis 2015 pour les grands noms de la presse anglo-saxonne comme pour Madame Figaro, Nima Taradji dresse un portrait vivant des États-Unis. De A Hate Crime and funeral, portant sur les obsèques d’une victime de crime racial, à Délia-a Transgender women qui s’intéresse à un parcours de transition en passant par Why Was I Born, chronique photographique d’une naissance, il nous ouvre les arcanes de ses séries les plus personnelles, en quête des vagissements graphiques d’une Amérique en constante gestation.
« La photographie de rue est une blague à usage unique » commence Nima Taradji. Une blague souvent amère. Dans un noir et blanc doux, le photographe immerge le·a regardeur·se : « plus on est proche du sujet, plus l’émotion est grande », commente-t-il. Sa pellicule capte, renseigne, saisit parfois la composition métaphorique, mais préfère à l’esthétique la confrontation directe. Une confrontation sensible, parfois déchirante : des funérailles du petit Wadee Al-Faioumy, 6 ans, mort poignardé de 26 coups de couteau à Plainfield dans l’Illinois, on verra les hommes qui prient, le père au regard hagard, les pelletées de terre qu’il faut bien déposer sur la stèle.
« Par cette série [Hate Crime and Funeral] je voulais montrer l’impact direct des discours. Comment un enfant de six ans qui, par définition n’a rien fait, peut-être tué par ces discours de politiques ou de groupe », explique-t-il. Travaillant exclusivement en numérique, l’auteur refuse la notion d’instant décisif : « pour sa célèbre photo, Cartier-Bresson a pris 36 clichés dont il n’a retenu qu’un seul ! », rappelle-t-il. Ces séries sont conçues comme de véritables narrations tendant vers une approche documentaire : « la photographie de rue est une phrase là où la photographie documentaire est un paragraphe, la possibilité de véritablement raconter une histoire. Pour moi la première est une étape vers la seconde », affirme-t-il.
Des manifestations violentes aux photos de naissance.
Plus ancienne, la série Délia s’inscrit ainsi dans cette fibre documentaire. Née d’une rencontre fortuite, elle retrace le parcours de Delia Marie K., née David Murray K qui décide, à 54 ans, de transitionner pour devenir une femme transgenre. Entre photos de famille, rasage obligatoire et rires, le photographe saisit les activités quotidiennes, et dresse un aperçu bref et intime de la vie de son sujet. « La découverte que le genre et l’orientation sexuelle ne sont pas des interrupteurs, mais plutôt un spectre, a été une révélation dont le poids m’a surpris », constate le photographe. Mais quelle meilleure narration que celle d’une naissance ? Dans un bassin, à l’intérieur d’un appartement, Annie – qui donne son nom à la série Why Was I Born – accouche. Le miracle opère dans ce qu’il dit d’une intimité, de la dramaturgie naturel d’un instant. « Les photos d’accouchement sont les plus émouvantes pour moi. J’ai fait de nombreuses photographies de manifestations parfois violentes, mais rien n’égale le sentiment d’être cinq dans une pièce puis six. Surréaliste ! », s’amuse-t-il.
Mais partout, on retrouve le même goût pour les visages, la captation de ce que disent les objets – le landau de l’enfant à naître – d’une attente ; l’image y apparait comme le moyen ultime d’une communication non verbale, puissamment éloquente. Le geste photographique y est fluide, d’une apparente simplicité, quand l’intensité du travail s’y lit dans la subtilité des angles choisis, des compositions arrêtées sur le vif. Un travail d’orfèvre, faussement classique : « je respecte les règles, mais pas les dogmes », conclut Nima Taradji.