C’est en documentant avec douceur les élans d’espoir, les envies d’ailleurs, ou juste le quotidien mouvant de jeunes au Sénégal, qu’ Eléonore Chellini, ancienne diplômée des Gobelins, a construit Nio Far. Un projet touchant, reflet d’une nouvelle génération impétueuse et déterminée malgré une société qui peut parfois les malmener.
Tout a pris racine en 2019, alors muée par une envie fulgurante de découverte, un besoin d’aller voir au-delà des frontières, de respirer d’autres atmosphères, de prendre le pouls d’un nouvel univers, Eléonore Chellini est partie sur les routes du Sénégal. De ce périple personnel, Nio Far, une série instinctive au message universel est née. « Le voyage a toujours eu une place importante dans ma vie. Avec ma famille on partait souvent en France. En grandissant, j’ai toujours eu envie d’aller plus loin, de découvrir des ailleurs un peu plus lointains, différents de moi, de ce que je connaissais. En partant au Sénégal rejoindre des amies qui étaient parties y vivre quelque temps, à Thiès dans les terres, à droite de Dakar, j’ai d’abord trouvé les rues fascinantes, je prenais beaucoup de photos de façon compulsive. La série a commencé comme cela, puis elle s’est déplacée vers ce que je découvrais aussi dans des espaces et moments plus intimes. On vivait dans une maison avec une cour partagée par la famille d’Alima, une femme qui avait mon âge, ses deux enfants, sa belle-mère et son mari, sa petite cousine et son mari – qui lui vivait la plupart du temps à Dakar. On s’est liées d’amitié avec elle, je partageais ses matinées à discuter avec elle, les après-midi et les week-ends on partait découvrir les alentours, parfois avec Alima. »
Et dans le quotidien qu’elle commence à apprivoiser, dans les paysages dont elle s’imprègne, c’est la jeunesse surtout qui la touche, qui éveille la ville. Avide d’images, elle capte, dans le mouvement, ce qui s’y passe, l’effervescence qu’elle ressent, gardant ainsi des traces fugaces de son périple. Marquée par cette première expérience, elle y retourne en 2022, au même endroit, avec les mêmes personnes. Cette fois-ci, elle veut ralentir la cadence, prendre plus de temps et laisser les choses venir à elle, shootant pour l’occasion avec des pellicules 35mm. Raconter la vie de celles et ceux qui partagent son voyage, témoigner pour créer le souvenir, voici ce qu’elle souhaite rapporter avec elle.
Envers et contre tous·tes
« J’aime voir la vie des gens, observer avec tendresse, de façon un peu naïve. Ce que je voulais avec ce projet, c’est montrer la généralité de la jeunesse, mais également dévoiler des singularités, notamment dans les regards, les caractères différents », avoue Eléonore Chellini. De quoi rêvent-iels, à quelle heure déjeunent-iels, à quoi pensent-iels ? Autant d’interrogations bienveillantes éclosent et nourrissent son envie d’apprentissage, tissant une à une le fil de son histoire visuelle. Cri de volonté d’une jeunesse en émoi, Nio Far se lit dans les visages qu’Eléonore côtoie. Traversant les villes et villages pour en documenter ses fluctuations, ses sourires évocateurs. elle fige des instants : une ride en moto-taxi sur des routes terreuses, ou la sérénité d’un moment d’accalmie en famille.
Un lien immuable s’érige dans les rencontres qu’elle fait, une ferveur commune se dessine dans les échanges. Le temps défile au fur et à mesure de la série, déversant avec lui les émotions d’une maturité en construction. Ici, la naïveté de l’enfance ne se perd pas, elle grandit à sa façon. Tous·tes apprennent à faire avec, à bâtir du bon dans la difficulté. Car malgré un pays en feu, malgré une société qui les persécute, la jeunesse continue d’assumer ses aspirations de jours meilleurs, et s’engage vers l’avenir, poussée par un espoir communicatif. C’est elle qui semble porter le pays, et non l’inverse… « Nio far, c’est quelque chose que les Sénégalais·es disent souvent à la fin des phrases, un peu comme un “on est ensemble, ça va bien se passer ». Je trouvais ça magnifique, la manière dont ces deux mots raisonnaient. Intituler ma série comme cela me permettait de montrer la solidarité des jeunes, leur soutien dans la galère.»