Off-RCA, le collectif qui célèbre les mille odeurs de l’art

13 mars 2024   •  
Écrit par Milena III
Off-RCA, le collectif qui célèbre les mille odeurs de l'art
© Misia-O', YuanYuan Poetess (2023) / Off-RCA
© Wuchao Feng, Till Your Tears Mix Up with Mine (2023) / Off-RCA
© Wuchao Feng, Till Your Tears Mix Up with Mine (2023) / Off-RCA
MarieCamara
directrice de off-RCA
« Le parfum est un art pur. Si vous perdez l’odorat, vous perdez l’équilibre et le sens du goût.  »
© Lyle Lin, Untitled (2023) / Off-RCA
© Yuan, Untitled (2023) / Off-RCA

Captivé·es par la recherche et la transformation de la matière, certain·es ancien·nes du Royal College of Art (RCA) de Londres – première université du monde des arts et du design – ont choisi de se réunir afin d’explorer ensemble de nouveaux territoires artistiques, à la confluence entre la photographie, le film, l’art… et l’odeur. Marie Camara, directrice d’off-RCA, revient pour nous sur une aventure collective innovante et prometteuse. Entretien.

Fisheye : Marie Camara, pourriez-vous vous présenter ?

Marie Camara : Je suis commissaire d’exposition, photographe, artiste olfactive et ancienne élève du RCA, avec une formation en design expérientiel. Je dirige off-RCA, un collectif d’art contemporain olfactif, qui propose des installations immersives explorant les interactions entre les odeurs, l’art, la technologie et la perception humaine. 

Qui sont les artistes qui composent le collectif off-RCA ?

Les artistes d’off-RCA sont tous·tes des diplômé·es récent·es ou plus ancien·nes du prestigieux RCA de Londres. Nous croyons tous·tes au pouvoir transformateur de l’odeur en tant que médium distinct, qui élève et anime la rencontre du ou de la spectateurice avec l’art. 

Comment décririez-vous l’approche photographique que partagent les artistes derrière off-RCA ? 

Je dirais qu’iels partagent une approche orientée sur le processus, garantissant une exploration cohérente et profonde des questions actuelles qui traversent l’art contemporain. Les artistes d’off-RCA emploient des procédés analogiques et alternatifs, parfois mélangés à des techniques et des technologies numériques. Les images sont ensuite matérialisées sur un large éventail de supports : cire, chimigrammes sur soie, Polaroïds agrandis sur coton, photographies en relief, films argentiques fragmentés… créant ainsi des sculptures, des films et des installations uniques, tactiles et parfumées, qui s’appuient sur l’image. 

© Yuan, Untitled (2023) / Off-RCA

Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans le parfum ?

La conception des parfums n’est pas assez souvent reconnue comme une forme d’art pure. Elle est trop souvent réduite à un produit purement esthétique. Le parfum, c’est la science. C’est une émotion. L’invisibilité de l’odeur est puissante : les émotions sont immédiates et instinctives. Pas le temps d’intellectualiser, les odeurs se connectent immédiatement, instantanément à notre bulbe olfactif, à nos émotions et à nos souvenirs. Si vous perdez l’odorat, vous perdez l’équilibre et le sens du goût. Je ne créé pas de parfums de « beauté », mais des parfums artistiques que l’on peut néanmoins porter. Ils sont des émotions pures qui agissent comme des alliés transparents et invisibles, enveloppant discrètement les œuvres d’art exposées, en les magnifiant et en les complétant de cette manière. Car après tout, nous sommes des individus multisensoriels. 

Le parfum est accessible à tous, il permet à tous les publics, y compris les personnes malvoyantes de ressentir l’art. Il facilite la compréhension des œuvres d’art intellectuelles les plus abstraites, et nous relie tous·tes à nos instincts primaires et, en fin de compte, je pense, à notre humanité. Lors de la deuxième édition d’off-RCA à Paris, j’ai été témoin de réactions incroyables : lorsque les gens se sont trouvés devant des œuvres d’art puissantes et qu’ils se sont connectés à leurs odeurs invisibles, ils ont ri, pleuré, chuchoté, se sont serrés dans les bras… Cela a ouvert à des conversations, au partage de souvenirs et d’émotions entre de parfait·es inconnu·es au sein de la galerie.

© Xinlong Lin, The Goods (2023) / Off-RCA
© Melanie Issaka, « Blueprint 5 », Black Skin White Mask (2023) / Off-RCA

Quelle nouvelle conception de l’image est théorisée et conçue par les artistes d’off-RCA ?

Au RCA, nous avons été formé·es dans un cadre similaire, avec des cours qui abordaient l’urgence de l’art au regard des questions sociétales – genre, féminisme, colonialisme, etc. –, avec des conférences et des recherches menées par des penseur·ses, philosophes ou conservateurices. Personnellement, je suis inspirée par le Bauhaus et par la nouvelle théorie philosophique de Thomas Nail sur l’image, pour qui celle-ci est toujours fondamentalement en mouvement, donc cinétique et quantique. En tant que telle, une image peut naître d’une odeur, d’un son, d’un toucher, de mots ou d’une performance. Elle est faite de fréquences, d’atomes en perpétuel mouvement. 

Pouvez-vous détailler les activités de votre collectif ? 

Les activités d’off-RCA se développent avec chaque nouvelle exposition. Dans un premier temps, le programme de curation organise des activités sur site, qui se transformeront à leur tour en activités en ligne. Notre collectif est en fait un nouveau-né : il est apparu l’année dernière, avec sa première exposition, qui s’est tenue au cours de la semaine d’ouverture des Rencontres d’Arles. En octobre dernier, à Paris, au cours du salon du parfum Rives de la Beauté, nous avions présenté les œuvres de quatre artistes, photographes, sculpteurices et créateurices pour présenter cette même édition. Cette deuxième exposition, intitulée Scent-Scient, cherchait à capturer la nature éphémère de la beauté, de l’odeur et de la mémoire, à travers la photographie contemporaine. Les visiteurices étaient en quelque sorte invité·es à s’immerger dans un monde de visions parfumées.

MarieCamara
directrice de off-RCA
« Les images sont faites de fréquences, d’atomes en perpétuel mouvement.  »
© Yuan, Untitled (2023) / Off-RCA
© Yuan, Grand-Ma’s Echo (2023) / Off-RCA
© Yuan, Grand-Ma’s Echo (2023) / Off-RCA
© Charlotte Joseph, Home is so sad (2023) / Off-RCA

Pourriez-vous présenter quelques-un·es de ces artistes exposé·es ?

Au cours de ce salon, nous avions notamment présenté le travail d’Aashta Patel et sa série Material Bodies. L’odeur y est celle d’une étreinte chaleureuse – confectionnée à partir du cuir, de la rose, du cashmeran et du bois de santal. Elle emploie de l’argile et du lycra tendu, et imprime ses images sur soie, entre autres. Son propos est particulièrement émouvant, et elle s’intéresse au point de contact qui se créé par la rencontre des corps, ou même le toucher de sa propre main. Une autre artiste que nous avions exposée était Wuchao Feng, qui est revenue sur le chagrin causé par la mort de sa meilleure amie avec Till Your Tears Mix Up with Mine. Elle mène une réflexion sur sa propre existence en tant qu’entité océanique, à travers des chimigrammes où ses larmes se mêlent aux produits chimiques et se diffusent lentement sur le papier photo. À travers ce geste artistique, elle invite chacun·e à reconnaître sa vulnérabilité et à compter les un·es sur les autres pour envisager une notion collective du soin. 

Pour présenter une autre artiste de notre collectif qui a exposé ses œuvres aux Rives de la Beauté, Misia-O’ raconte l’histoire de Yuan Yuan, une courtisane renommée de la dynastie Ming, qui a beaucoup plaidé en faveur de réformes sociales et défendu les droits des femmes. Bien qu’elle ait été vendue à un jeune âge pour devenir prostituée, elle a défié les attentes de la société et a façonné son propre destin pour devenir finalement l’une des courtisanes les plus influentes et les plus célèbres de la dynastie. Dans ce travail, on retrouve des Polaroïds agrandis et des segments de films imprimés sur de grands panneaux de papier peint. Les odeurs du jasmin naturel, du yuzu, de la cardamome, de la rose et de l’encens entremêlées composent un parfum hypnotique et séduisant, inspiré des ingrédients employés par les courtisanes de cette époque. 

D’une manière générale, quels sont les thèmes privilégiés par les membres de off-RCA ? 

Les ancien·nes élèves du RCA sont très axé·es sur la recherche. Iels sont à la fois concerné·es et inspiré·es par les questions sociétales, économiques, culturelles, sociologiques et anthropologiques, du féminisme au body positive, la colonisation, les droits queer, la psychologie, la neurodiversité, l’environnement…

Quelles sont les ambitions du collectif pour l’avenir ? 

Je dirais, être un collectif d’art nomade international, une fusion entre l’art contemporain et l’univers de la senteur. Il se veut immersif, mais aussi inspirant et perturbateur, car il aborde des questions qui touchent la société en employant des tous types de moyens, anciens ou récents, y compris l’intelligence artificielle. L’idée maîtresse que nous voulons défendre est la possibilité d’offrir aux visiteurices des expériences qui sont stimulantes, où iels peuvent s’engager dans l’art d’une manière qui va au-delà des rencontres visuelles traditionnelles. 

© Aashta Patel, Material Bodies (2023) / Off-RCA
© Misia-O’, Yuan x I Ming Dynasty courtesan (2023) / Off-RCA
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