Il a les traits burinés, le port altier. Sa tête, encadrée par de longs cheveux emmêlés, est parfois relevée dans un geste orgueilleux. Mais ses épaules voutées marquent la posture de celui qui a sans doute trop vécu. Son regard est tantôt perçant, tantôt perdu dans des nimbes qui n’appartiennent qu’à lui. Et parfois, son visage tout entier devient celui d’un prédateur, d’un mec qu’il ne faut pas emmerdé. Le photographe Michael Floor nous présente Peter.
C’est un marginal. Nous ne l’avons jamais rencontré et pourtant, en observant les portraits que Michael Floor a fait de lui, il y a ce sentiment d’étrange proximité. Peter, a bien des égards, est une belle personne. C’est du moins l’impression qu’il donne au photographe lorsqu’ils se rencontrent en 2011. Michael, fraîchement diplômé de la Fotoacademie d’Amsterdam, travaillait alors sur un autre projet : « Peter était le gardien d’un studio de répétition de musique. J’ai pris une photo de lui dans une cave sombre, en utilisant une lampe de poche et une vitesse d’obturation de dix secondes. Je n’avais pas été aussi satisfait d’une image depuis longtemps. »
Le photographe se souvient aussi d’avoir été « très impressionné » par la présence de Peter, « sa façon de penser peu conventionnelle. » En vingt minutes, Michael sent « dans [ses] tripes » qu’il y a derrière cet homme une histoire forte et sombre à raconter. Deux ans plus tard, il reprend contact avec lui et il démarre ce projet. Son instinct lui a donné raison.
Le côté obscur
À douze ans, Peter s’enfuit d’un foyer pour enfants. Il grandit dans la rue. Pour survivre, il devient dealer. Il a 14 ans lorsqu’il prend son premier shot d’héroïne. Victime de maltraitance lorsqu’il était enfant, Peter décide d’apprendre les arts martiaux. Il passe de la pègre à la cour des grands, et devient garde du corps de Klaas Bruinsma, baron de la drogue dans les années 80. Entre temps, il se marie, devient père de deux enfants et divorce deux fois. Il s’est retiré il y a plusieurs années et partage aujourd’hui son quotidien entre les Pays-bas et la France. C’est d’ailleurs en France, et plus précisément en Corrèze, où Peter est propriétaire d’une petite ferme, que la plupart des images de la série ont été réalisées. L’automne dernier, Michael lui a rendu visite et a passé une semaine auprès de lui et de ses amis. Pendant ses études, Michael s’est spécialisé dans la photographie documentaire. Lorsqu’il démarre sa carrière il y a trois ans, il aspire à s’investir dans un projet intime au long cours. Bingo.
“L’obscurité chez Peter existe, mais Michael la contourne, la détourne presque, comme on le ferait avec un miroir pour chercher la lumière.”
Il confie qu’il n’y a pas de modèle plus dévoué que Peter : « Il est très ouvert, il se moque de ce que les autres pensent de lui. Je pense qu’il est prêt à porter le projet encore plus loin que je n’ose lui demander. Parfois il me dit, en plaisantant à moitié, “Je ferai n’importe quoi pour t’aider dans ta carrière”.» En tant que photographe, Michael confie qu’il a besoin de côtoyer la part sombre des gens. Ainsi il est forcé de sortir de sa zone de confort et de repousser un peu plus ses limites. Avec Peter, il réalisé qu’il y a une forme d’ambiguïté morale car « Peter est un ancien criminel, et en même temps j’éprouve beaucoup de sympathie pour lui. »
C’est peut-être là le point faible du photographe, mais aussi sa plus grande qualité. Michael Floor ne peut pas se départir de l’empathie profonde qu’il ressent pour son sujet. S’il doit aller plus loin, c’est parce qu’il se laisse porter par lui – et non l’inverse. Cette forme de passivité s’élève comme un voile. La distance respectueuse entre le photographe et son modèle est palpable, tout autant que l’amitié qui les lie. L’obscurité chez Peter existe, mais Michael la contourne, la détourne presque, comme on le ferait avec un miroir pour chercher la lumière. La grandeur de Peter réside dans la fragilité révélée par touche dans chaque image. Peter, a bien des égards, est une belle personne. Et Michael s’attache à nous le démontrer avec brio.
Images par © Michael Floor