La 8e édition du PhotoBrussels Festival vient d’ouvrir dans la capitale européenne. Avec au menu 56 expositions réunissant 300 artistes qui balaient tout le spectre de la photographie contemporaine. L’occasion de découvrir aussi un ensemble de lieux incroyables au gré de vos déambulations.
Si les amoureux·ses de la photo se donnent rendez-vous aux Rencontres d’Arles pendant l’été, et à Paris en novembre à l’occasion de Paris Photo – et de ses manifestations satellites –, il faut désormais compter avec le PhotoBrussels Festival qui, pour sa 8e édition, étoffe sa programmation d’une manière remarquable. Lancé il y a huit ans par Delphine Dumont, qui pilote le Hangar, un centre dédié à la photographie qui s’étend sur mille mètres carrés et trois niveaux, cet événement est l’occasion de faire le point sur les pratiques contemporaines du 8e art, avec quelques incursions dans l’histoire du médium.
L’Ukraine à l’honneur
Connectée à l’actualité avec pertinence et originalité, le Hangar propose une exposition sur l’Ukraine imaginée en collaboration avec Kateryna Radchenko, à l’initiative de l’Odesa Photo Days Festival, et le Museum of Kharkiv School of Photography (Moksop). Intitulé Generations of Resilience, cet accrochage se déploie sur les trois niveaux du Hangar et présente 22 photographes ukrainien·nes appartenant à trois générations. Le premier niveau met en lumière les auteurices historiques de l’école de Kharkiv (Boris Mikhailov, Valentyna Bilousova, Yevgeniy Pavlov, Alexander Chekmenev…), un mouvement né dans les années 1970, composé de jeunes gens explorant le contexte social en défiant le système et la censure du pays, loin des images de propagande. « L’école de photographie de Kharkiv n’est ni une école officielle ni une organisation. Il s’agit d’une communauté de personnes partageant les mêmes idées, dont les idées ont dépassé leur ville, ayant un impact sur les générations suivantes et les artistes d’autres régions ukrainiennes », précise Kateryna Radchenko.
Une influence qui vient directement toucher la génération suivante que l’on retrouve au premier niveau de l’exposition. On a ainsi l’occasion de découvrir les travaux de Maxim Dondyuk sur Chernobyl, de Lisa Bukreyeva sur la vie des jeunes en Ukraine, ou encore de Vladyslav Krasnoshchok, qui en plus d’une pratique documentaire utilise aussi des archives anonymes qu’il colorise à la main – une technique inspirée de la génération précédente. On croise également les images d’Elena Subach dont l’écriture contemporaine lui a valu d’être nominée pour les Futurs Talents, en 2019. Mais aussi celles de Daria Svertilova qui s’est concentrée sur la jeunesse et le contexte culturel, social et politique dans lequel les jeunes vivent. C’est d’ailleurs un de ses portraits qui a été retenu pour réaliser l’affiche de l’exposition. Enfin, le troisième niveau met en avant les photographes émergent·es de la nouvelle génération, avec notamment une projection de travaux d’auteurices ayant suivi un programme de mentorat initié par Odesa Photo Days Festival. On y retrouve un ensemble de témoignages sensibles accompagnés des paroles des photographes.
Éloge de la diversité
Le festival n’oublie pas de faire le focus sur certains aspects de la photographie belge, avec notamment un très beau solo show de Jacques Sonck, présenté à la prestigieuse Fondation A Stichting. Les quelque 120 portraits en noir et blanc dressent une galerie étonnante qui fait parfois penser à l’œuvre de Diane Arbus. « D’une manière ou d’une autre, j’essaie de documenter les gens qui vivent dans cette époque et dans cette partie du monde que je considère comme chez moi, explique le photographe né en 1949 qui vit et travaille à Gand. Pour moi, c’est la diversité qui est intéressante : nous sommes toustes différents et cependant semblables. Peut-être mon travail apprend-il aux spectateurices à poser sur mes sujets un regard différent, plein de curiosité empathique. Le fil rouge, c’est que nous sommes toustes différent·es, et le message, que nous en sommes fier·es. »
Matière critique
Un autre photographe belge, Lucas Leffler, bénéficie d’une belle mise en avant à la Lee Bauwens Gallery – une ancienne imprimerie magnifiquement reconvertie en « home gallery ». On peut y voir plusieurs travaux réalisés par ce jeune artiste qui a développé un ensemble de techniques originales pour questionner notre environnement. Ses images se déploient avec beaucoup de sensibilité dans cet écrin architectural. Un peu plus loin, au centre culturel Jacques Franck, on découvre les travaux de cinq femmes pour composer une exposition dénommée (S’)empouvoirer, avec en particulier les très beaux autoportraits de la Belge Hélène Amouzou. Belges encore, Laure Winants, Lara Gasparotto, Edith Bories, Liesbetb Grupping, Hélène Petit, Dries Segers, Thomas Vandenberghe et (encore) Lucas Leffler. Les huit artistes exposé·e·s à l’Iselp interrogent chacun à leur manière le 8e art à travers Matière critique, explorations photographiques. « Face au flux dense et ininterrompu des images auxquelles nous sommes confronté·es, les artistes rassemblé·es ici posent des actes de résistance en privilégiant dans leur démarche le geste et la lenteur des procédés utilisés », analyse Marie Papazoglou, commissaire de l’exposition.
Images vibrantes
Parmi les lieux singuliers que nous avons pu découvrir, il faut citer Cloud Seven, un espace exceptionnel qui accueille dans deux bâtiments en regard des postes de coworking et une galerie sur quatre niveaux. On peut y voir Kinshasa 1960’s-2020’s, une exposition qui permet de (re)découvrir les images en noir et blanc de Jean Depara sur la capitale de la République démocratique du Congo prises dans les années 1950-1970. Face à ces images historiques pleines de légèreté, on trouve le travail poétique et charnel d’Alain Nzuzi Polo qui projette une mise en abyme de lui-même afin d’affirmer sa propre nature dans un environnement plus qu’hostile envers ceux qui ne rentrent pas dans la norme hétérosexuelle.
Autre lieu remarquable Eleven Steens qui présente plusieurs artistes contemporains et trois photographes : Natalina Zainal, Paola Salerno et Ilan Weiss. Dans ses portraits mis en scène et soigneusement éclairés, la photographe propose à des personnes marginalisées de révéler leur « invisibilité » par des situations conjuguant désillusion sociale avec une dose d’autodérision. Étudiante au début des années 1980 à New York Paola Salerno commence à danser comme stripteaseuse dans le go go bars. Elle réalise alors un reportage sur ce monde de la nuit qui lui permet de remporter le très convoité prix Kodak de la critique en 1988. Ses images très touchantes nous rappellent d’une certaine manière l’univers de Nan Goldin. Enfin, Ilan Weiss compose ses images en intervenant sur ses clichés sur lesquels il applique différentes couches de peinture. On peut ainsi voir un ensemble de portraits de ses anciennes compagnes, avec beaucoup de douceur. Mais à cette série qui nous renvoie un peu à la période pictorialiste du 8e art on préférera nettement un triptyque représentant des « photos-peintures » d’océan. Des images vibrantes qu’on ne se lasse pas de regarder, et qui nous embarquent dans une rêverie dont on ne revient pas.
On ne pourra pas citer tous les lieux, et nous n’avons pas pu tous les visiter, mais pour les amoureux·ses des livres photo, il y a encore une adresse qu’il vous faut visiter si vous ne la connaissez pas encore. Il s’agit du Tipi Bookshop, une caverne d’Ali Baba qui rassemble des trésors. On y trouve non seulement les livres des meilleurs éditeurs, mais aussi, et surtout un ensemble d’autoéditions choisies avec soin. Difficile de ne pas craquer, d’autant que le maître des lieux est un expert à la passion contagieuse.