Photographier en Normandie : un laboratoire de créativité

29 mai 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Photographier en Normandie : un laboratoire de créativité
Hippolyte MACAIRE, Louis Cyrus MACAIRE, Navire quittant le port du Havre, 1851, daguerréotype, 15 x 11 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France
Auguste AUTIN, Portrait d’Adolphe Gaspard Souquet de la Tour (1831-1899), vers 1850, daguerréotype, 16 x 12 cm, Honfleur, Collection Pierre Gaston
Gustave LE GRAY, Bateaux quittant le port du Havre, 1856, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion, 32,5 x 42,5 cm, Quimper, Archives départementales du Finistère, en dépôt au MuMa

Dans le cadre de la 5e édition du festival pluridisciplinaire Normandie Impressionniste, le MuMa – Musée d’art moderne André Malraux au Havre – dévoile sur ses cimaises l’exposition Photographier en Normandie : (1840-1890). Un dialogue pionnier entre les arts. Les toiles et images d’artistes d’un temps passé s’unissent et composent une balade visuelle bucolique, à découvrir jusqu’au 22 septembre 2024.

Tout semble opposer Claude Monet, Gustave Courbet, Eugène Boudin ou encore Camille Pissarro, illustres peintres impressionnistes, aux photographes Auguste Autin, Edmond Bacot, Hippolyte Bayard ou Humbert de Molard. Et pourtant, les clichés et tableaux de ces artistes du 19e siècle, parmi tant d’autres, dialoguent entre eux le temps d’une exposition d’envergure. Lieu d’accueil de cette rencontre singulière, le MuMa met en lumière le rôle important de la Normandie dans les prémices de la photographie. S’inscrivant dans la programmation d’Un Été au Havre, Photographier en Normandie : (1840-1890). Un dialogue pionnier entre les arts fait particulièrement écho à une date anniversaire porteuse de sens : les 150 ans de l’impressionnisme. « Si ce mouvement artistique entretient des liens privilégiés avec la Normandie, l’essor de la photographie doit donc tout autant à la baie de Seine », assure Édouard Philippe, Maire du Havre. À cette occasion, plus de 150 photographies, capturées tant par de grands noms du médium que des amateurices, sont à contempler. Arborant de multiples formats et techniques variées, les œuvres exposées permettent d’appréhender avec justesse cette période charnière pour la photographie.

Dès 1840, la Normandie s’affiche comme le lieu idéal pour expérimenter et innover avec son boitier. Ses somptueux littoraux, son riche patrimoine et son allure si unique font de cette terre sacrée un véritable laboratoire de créativité. Les peintres et photographes séjournent alors sur place et s’inspirent pour créer de nouvelles choses. Très rapidement, la Normandie devient à elle seule le parfait outil pour mesurer l’influence réciproque entre les arts. Afin d’immiscer pleinement les visiteur·ses dans cette belle histoire de la photographie, les commissaires de l’exposition — Dominique Rouet, Sylvie Aubenas et Benoît Eliot — ont imaginé un parcours thématique permettant d’explorer la Normandie en plusieurs étapes : le berceau de la photographie et terre d’inventeurs ; la mise au point de l’instantanéité au Havre ; les vues balnéaires et vues de ports ; l’inventaire du patrimoine monumental ; l’attrait du pittoresque régional ; les portraits, scènes de genre, foires et marchés ; puis enfin les événements, mutations urbaines et grands travaux.

Gustave COURBET, La Vague, 1869, huile sur toile, 71,5 x 116,8 cm, Le Havre, musée d’art moderne André Malraux © MuMa Le Havre / Charles Maslard
Eugène BOUDIN, Dame en blanc sur la plage de Trouville, 1869, huile sur carton, 31,5 x 48,5 cm. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
François Marie Louis Alexandre Gobinet de VILLECHOLLES, dit Franck, Veules-en-Caux, Estivants sur la plage, vers 1860, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion, 12 x 16,2 cm, Fécamp, Collection Pascal Servain

Fenêtre sur la photographie contemporaine

Après avoir observé les avancées techniques du médium et les multiples regards variés qui ont été posés sur la Normandie au 19e siècle, les visiteur·ses peuvent élargir l’exploration de la région à travers des clichés grand format d’artistes contemporain·es. D’une part, les images de Thibaut Cuisset, Jet Southam, Matthias Koch et Vincenzo Castella les transportent dans l’univers de la photographie documentaire. Ils donnent à voir l’essentiel, de façon plus ou moins frontale, sans aucune fioriture et rendent compte de l’authenticité du paysage. Puis, d’autre part, Jacqueline Salmon, Philippe De Gobert et Xavier Zimmermann laissent place à leurs âmes créatives et jouent avec le médium. Leurs images dévoilent une facette originale du territoire, graphique, poétique ou encore illusoire. Un jeu visuel permettant de découvrir la Normandie autrement.

Enfin, un ultime regard est proposé : celui d’une Normandie futuriste, qui n’existe pas. Co-réalisé avec Un Été Au Havre 2024, ce projet est né sous l’idée de Grégory Chatonsky. Pionnier dans son domaine, il invite l’intelligence artificielle à transformer l’expérience du paysage photographique. Les clichés résultant de cette exploration présentent la ville du Havre de manière irréelle où un monde parallèle et inconnu semble s’y être développé. Confrontées aux photographies et tableaux du 19e siècle, les images de Grégory Chatonsky écrivent la suite logique de ce récit visuel tout en interrogeant le devenir de l’être humain et son environnement. En plus de rendre hommage à la beauté de ce territoire, l’exposition Photographier en Normandie : (1840-1890). Un dialogue pionnier entre les arts analyse avec intelligence et audace l’évolution de la photographie.

Auguste Rosalie BISSON et Louis Auguste BISSON, dit BISSON FRÈRES, « Cathédrale de Rouen, portail et son couronnement » extrait des Reproductions photographiques des plus beaux types d’architecture et de sculpture d’après les monuments les plus remarquables de l’antiquité, du moyen-âge et de la renaissance, 1858, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion, 45,2 x 35,1 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France

John RUSKIN, Rouen. Cathédrale Notre-Dame, vue du sud-est, 1854, daguerréotype, image inversée, 45 x 32,5 cm, The Ruskin Library, Lancaster University

Anonyme, Pêcheuses de crevettes de Saint-Valéry-en-Caux, vers 1870, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion, 13,5 x 19,5 cm, Paris, Collection Serge Kakou

. Gustave LE GRAY, Musée-bibliothèque et ville du Havre, 1856, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion, 32 x 42 cm, Le Havre, Bibliothèque Municipale
Camille PISSARRO, Port de Rouen, Saint-Sever, 1896, huile sur toile, 65,5 x 92,2 cm, Paris, Musée d’Orsay, legs Enriqueta Alsop au nom du Dr Eduardo Mollard, 1972© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Franck Raux
À lire aussi
« Météorologiques » : le MuMa encense la beauté fragile du temps qui passe
« Météorologiques » : le MuMa encense la beauté fragile du temps qui passe
Jusqu’au 5 mars 2023, dans le prolongement de Vent, sa précédente exposition, le musée d’art moderne André Malraux nous invite à…
16 décembre 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Solitude floue : les paradoxes nébuleux d'Aleksandr Babarikin
Solitude floue : les paradoxes nébuleux d’Aleksandr Babarikin
Visages déformés, silhouettes sibyllines, contrées oniriques ou villes nébuleuses… Le photographe biélorusse Alexander Babarikin compose…
02 février 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet

Explorez
Raï de Boris Bincoletto : oublier quelqu'un pour retrouver les autres
© Boris Binceletto
Raï de Boris Bincoletto : oublier quelqu’un pour retrouver les autres
Après Solemar, son premier livre photographique qui explorait la côte Adriatique, Boris Binceletto sort Raï, qui se situe entre la...
17 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Motel 42 : Eloïse Labarbe-Lafon peint le décor d’un road trip
© Eloïse Labarbe-Lafon
Motel 42 : Eloïse Labarbe-Lafon peint le décor d’un road trip
Composé d’une quarantaine de portraits pris dans des chambres durant un road trip, Motel 42 d’Eloïse Labarbe-Lafon s’impose comme un...
06 décembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
© Marie Le Gall
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
Absente depuis vingt ans, lorsque Marie Le Gall retourne enfin au Maroc, elle découvre un territoire aussi étranger que familier....
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Visions d'Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
© Alex Turner
Visions d’Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
Des luttes engagées des catcheuses mexicaines aux cicatrices de l’impérialisme au Guatemala en passant par une folle chronique de...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
The Color of Money and Trees: portraits de l'Amérique désaxée
©Tony Dočekal. Chad on Skid Row
The Color of Money and Trees: portraits de l’Amérique désaxée
Livre magistral de Tony Dočekal, The Color of Money and Trees aborde les marginalités américaines. Entre le Minnesota et la Californie...
21 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
© Prune Phi
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
Du 7 février au 23 mars 2025, le Jeu de Paume accueille le festival Paysages mouvants, un temps de réflexion et de découverte dédié à la...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
© Mirko Ostuni, Onde Sommerse.
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
Dans Onde Sommerse, Mirko Ostuni dresse le portrait de sa propre génération se mouvant au cœur des Pouilles. Cette jeunesse tendre et...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
© Maurine Tric
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
Pour certain·es artistes, la photographie a un pouvoir cathartique ou une fonction guérisseuse. Iels s'en emparent pour panser les plaies...
19 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine