Poésie modulable pour animer l’esprit

06 janvier 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Poésie modulable pour animer l’esprit

En faisant dialoguer ses images avec les mots de son amie Ella Moe, la photographe allemande Karoline Schneider imagine, dans Cut me a smile, un récit intemporel au sein duquel le regardeur est libre d’errer comme bon lui semble.

« J’ai grandi dans un pays dont le gouvernement dictait ce à quoi l’art devait ressembler. Une absurdité qui a poussé les œuvres à devenir subtiles, indirectes pour exister. À mes 19 ans, le mur s’est écroulé. Tout d’un coup, l’art est devenu libre, mais soumis au marché économique, et les auteurs ont dû devenir stratégiques pour réussir. Mais pour moi, l’art est quelque chose de profondément personnel, qui pourrait être décrit par un terme : la fascination »,

raconte Karoline Schneider.

Née en 1970 à Halle, en ex-Allemagne de l’Est, l’artiste recherche, dans la création, une rencontre entre l’esprit et la passion. Convaincue que vivre de ses œuvres est une entrave à la liberté, elle enseigne, en parallèle, à l’université. D’abord dessinatrice, c’est pour retranscrire plus fidèlement ses visions qu’elle se tourne vers le médium photographique – et plus précisément, vers la technique du collodion humide. « Ce processus s’apparente à la peinture. Couplé à la relative objectivité du médium, il me permet de développer ma propre imagerie », précise-t-elle. Avec délicatesse, et parfois abstraction, elle développe sa définition personnelle du portrait : une représentation de l’humanité à travers le prisme d’un individu.

© Karoline Schneider

L’écho de nos émotions

Énigmatique, Cut me a smile fait dialoguer image, poésie et traces d’êtres vivants dans un espace-temps inconnu. Jouant avec le familier et l’inconnu, Karoline Schneider présente au regardeur des portes d’entrée vers le monde des songes, les divagations de l’esprit. Au fil des mots, des mises en scène, se déploie un univers propre à chacun dans lequel le langage se perd pour devenir écho de nos émotions.

« Échangeons nos places, j’apporterai
un couteau et toi une lune. Aiguise les
bords du croissant et découpe-moi un sourire.
Fais-moi douter de qui j’aurais dû être. »

Conçue en collaboration avec Ella Moe, la série s’est construite de manière organique. « J’avais en tête une idée très précise du résultat final, et je n’arrivais pas à trouver un écrivain qui me plaise. Ella était ma colocataire, lorsqu’elle m’a proposé d’écrire pour moi. J’ai d’abord hésité, mais après avoir lu ses textes, j’étais conquise : c’était exactement ce que j’espérais », se souvient l’artiste. Une collection d’ « histoires en trois phrases » qui complètent ses illusions visuelles à merveille. Inspirée par les croquis de Victor Hugo, Karoline Schneider cherche à faire naître, tout comme lui, des scènes éphémères qui ouvrent les portes d’un monde inconnu. « Ses œuvres forment des océans d’encre, des tempêtes et des mers impétueuses, des cieux dramatiques. En quelques lignes, il érige des châteaux imaginaires somptueusement bâtis », ajoute-t-elle. En s’appuyant sur une technique photographique ancienne, et sur des vers énigmatiques, l’auteure transforme ses réalisations en détonateurs, capables de nous transporter, eux aussi, dans cet alter-monde poétique. « Voilà, pour moi, tout ce que représente l’art », conclut-elle.

© Karoline Schneider

© Karoline Schneider

© Karoline Schneider

© Karoline Schneider

© Karoline Schneider

© Karoline Schneider

© Karoline Schneider

© Karoline Schneider

© Karoline Schneider

© Karoline Schneider

Explorez
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
© Jules Ferrini
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
À travers deux séries, Noires sœurs et Modern Sins, Jules Ferrini plie la lumière et le temps pour faire vibrer l’obscurité d’un...
26 juillet 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Gangs de chats, pigeons dérobés ou espions : ces séries de photos sur les animaux
© Chloé Lamidey
Gangs de chats, pigeons dérobés ou espions : ces séries de photos sur les animaux
Chiens, chats, ours, éléphants ou encore pigeons, apprivoisés, sauvages ou même espions, parmi les séries présentées sur les pages de...
23 juillet 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Onironautica : les rêves lucides, l’IA des êtres humains
© Ludivoca De Santis
Onironautica : les rêves lucides, l’IA des êtres humains
Collections d’images venues de rêves lucides, Onironautica de Ludovica De Santis interroge, au travers de mises en scène intrigantes...
19 juillet 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Le Jardin du Lunch : les boulettes de Proust
© Pascal Sgro
Le Jardin du Lunch : les boulettes de Proust
Entre nostalgie et humour, le photographe belge Pascal Sgro saisit, dans sa série en cours Le Jardin du Lunch, la bienveillante laideur...
19 juillet 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Jeux olympiques : ces séries de photographies autour du sport
© Cait Oppermann
Jeux olympiques : ces séries de photographies autour du sport
Ce vendredi 26 juillet est marqué par la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024. À cette occasion, nous vous...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon
© Iwane Ai. A New River series, 2020. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon
À l’occasion des dix ans du Festival, Kyotographie investit les Rencontres d’Arles pour la première fois. L’exposition...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
© Jules Ferrini
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
À travers deux séries, Noires sœurs et Modern Sins, Jules Ferrini plie la lumière et le temps pour faire vibrer l’obscurité d’un...
26 juillet 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Robin de Puy : partout, l’eau au centre du paysage
© Robin de Puy
Robin de Puy : partout, l’eau au centre du paysage
L'exposition Waters & Meer - Robin de Puy revient sur deux séries de la photographe néerlandaise. Un hommage aux populations rurales...
25 juillet 2024   •  
Écrit par Costanza Spina