POST et les virilités artificielles de Sander Coers

10 août 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
POST et les virilités artificielles de Sander Coers
© Sander Coers
© Sander Coers
© Sander Coers

C’est sur la couverture de Fisheye n°55, en 2022, que Sander Coers présentait pour la première fois une photographie issue de sa série Blue Mood (Al Mar). « C’était très surréaliste de voir mon travail en couverture d’un magazine. Je venais de terminer ce projet un mois plus tôt, personne ne l’avait encore vu. Cela a renforcé ma visibilité et m’a permis d’entrer en contact avec un plus grand nombre d’artistes et d’amateurs d’art, en particulier en France », confie-t-il avec enthousiasme. Depuis, le photographe néerlandais a présenté ce projet en septembre 2022 à la foire de photographie Unseen d’Amsterdam, et envisage de l’éditer prochainement. Parallèlement à son activité, Sander Coers est membre d’un groupe de rock, nommé Indigo Pastel, et sera en tournée cet été sur les routes des Pays-Bas.

© Sander Coers
© Sander Coers
© Sander Coers
À lire dans
Fisheye Magazine #60 10 ans
Fisheye Magazine #60 10 ans
« Nous y voilà. 10 ans. 60 numéros. 9 000 pages – sans compter les hors-séries et les livres. Plus…
Juillet 2023

«Ce jour-là, les cinq s’étaient levés tard, l’esprit et le corps embués par les petits excès de la veille. Ils étaient partis sans petit-déjeuner, un Minolta, des shorts de bain, marcels ou polos en éponge sur les épaules et une serviette à la main. Ils se sont baignés longuement, oubliant qu’il fallait rentrer pour le repas du midi. » Ce qui reste de ce moment a été immortalisé dans cette image représentant quatre jeunes hommes, debout au milieu des montagnes, juste au-dessus d’un lac. En regardant attentivement l’image, tous les éléments nous paraissent bien réels, mais rien de ce qui nous a été conté auparavant n’a existé. C’est un leurre, une création visuelle générée par une intelligence artificielle. Néanmoins, c’est bien à partir d’une base préexistante que cette photographie de Sander Coers, tout comme le reste de sa série POST, s’est construite. « Mon grand-père, qui est décédé il y a deux ans, est né en Indonésie, une ancienne colonie néerlandaise. Son éducation en Indonésie et sa fuite aux Pays-Bas en 1949 m’intriguaient, mais il parlait rarement de son enfance. Petit, je passais des heures à feuilleter ses albums photo pour avoir un aperçu du passé, me plongeant dans les détails et imaginant la vie des personnes sur ces images. Au début de 2023, alors que je feuilletais à nouveau les vieux albums, une idée m’est venue. Les semaines précédentes, j’avais joué avec des images générées par l’intelligence artificielle (IA), et j’ai pensé à l’utiliser pour développer ces trésors familiaux. C’est devenu une expérience, un moyen de fabriquer artificiellement de nouvelles images en les mélangeant de manière transparente avec les images existantes », explique le photographe. En laissant l’IA interagir avec les images de ses grands-parents, l’auteur a façonné des souvenirs d’une troublante sincérité. « Le titre POST signifie que l’on s’éloigne des pratiques traditionnelles et que l’on entre dans une nouvelle ère où la technologie numérique joue un rôle important dans notre compréhension du passé. Il fait également référence à un monde postérieur à mon grand-père, à la question de savoir comment nous préservons les souvenirs et gardons leurs histoires vivantes.»

Les clichés intègrent ainsi les mêmes caractéristiques et détails des histoires familiales : paysages de son enfance en Zélande (province des Pays-Bas), vêtements, visages, activités et couleurs similaires d’une époque singulière. En tant qu’artiste et opérateur de ce processus, il a ensuite sélectionné les photos les plus évocatrices, les recadrant parfois, ou les combinant pour créer un nouvel ensemble et souligner l’idée d’une mémoire construite et fragmentée. En s’attachant à représenter la période du passage à l’âge adulte chez les hommes – une thématique inhérente à son œuvre – Sander Coers interroge la manière dont notre perception de la masculinité est modelée par la culture visuelle, et comment l’IA se nourrit de celle-ci pour concevoir une réalité parallèle. En observant les symboles récurrents dans les images générées – les costumes, les ceintures, les chapeaux, les corps sculptés –, on s’aperçoit qu’ils constituent des marqueurs visuels du genre à travers les siècles. «Tout cela fait très “Americana” des années 1960. Selon moi, il s’agit d’une incarnation stéréotypée de la masculinité. Il est intéressant d’observer comment le robot interprète et représente le concept de virilité, ou de beauté. Cette représentation soulève des questions sur la nature du beau ainsi que celui du masculin en tant que construction sociale », ajoute-t-il. Pour prolonger cette notion de construction, Sander Coers a imprimé ses créations en UV sur du contreplaqué – matériel utilisé dans le bâtiment, un environnement à dominance masculine. En se plongeant à nouveau dans la série, tout prend davantage d’épaisseur : le mouvement des courses dans les champs, la fluidité des corps d’hommes dans le vent, et la douceur d’une nature foisonnante. Les images deviennent ainsi des objets tangibles incarnant des préjugés voués à être déconstruits.

© Sander Coers
© Sander Coers
© Sander Coers
Explorez
Instax mini 99 : les couleurs instantanées d’Aliocha Boi et Christopher Barraja 
© Christopher Barraja
Instax mini 99 : les couleurs instantanées d’Aliocha Boi et Christopher Barraja 
La photographie analogique ne cesse de séduire un large public. Pour Fujifilm, Aliocha Boi et Christopher Barraja s’emparent de l’Instax...
26 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Flashs et paysages : les mondes mystiques d'lnka&Niclas
Family Portrait © Inka&Niclas
Flashs et paysages : les mondes mystiques d'lnka&Niclas
Des vagues et des palmiers rose-orangé, des silhouettes incandescentes, des flashs de lumières surnaturels dans des paysages grandioses....
24 avril 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Concours #RATPxFisheye : lumière sur les médaillé·es
© Jeanne Pieprzownik
Concours #RATPxFisheye : lumière sur les médaillé·es
Le 3 avril 2024, le jury du concours #RATPxFisheye a désigné ses trois lauréat·es. Guillaume Blot, Jeanne Pieprzownik et Guillaume...
23 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les images de la semaine du 15.04.24 au 21.04.24 : pleins feux sur le potentiel du médium
© Maewenn Bourcelot
Les images de la semaine du 15.04.24 au 21.04.24 : pleins feux sur le potentiel du médium
C’est l’heure du récap‘ ! Les photographes de la semaine creusent l'énigme derrière les images, puisent dans les possibilités du 8e art...
21 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Le passé artificiel de Stefanie Moshammer
© Stefanie Moshammer
Le passé artificiel de Stefanie Moshammer
Les images de Stefanie Moshammer s’inspirent d’expériences personnelles et de phénomènes sociaux, à la recherche d’un équilibre entre...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Instax mini 99 : les couleurs instantanées d’Aliocha Boi et Christopher Barraja 
© Christopher Barraja
Instax mini 99 : les couleurs instantanées d’Aliocha Boi et Christopher Barraja 
La photographie analogique ne cesse de séduire un large public. Pour Fujifilm, Aliocha Boi et Christopher Barraja s’emparent de l’Instax...
26 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Isabelle Vaillant : récits d’une construction intime
© Isabelle Vaillant
Isabelle Vaillant : récits d’une construction intime
Jusqu’au 19 mai 2024, la photographe Isabelle Vaillant investit L’Enfant Sauvage, à Bruxelles, en proposant une exposition rétrospective....
26 avril 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Hailun Ma, pour l'amour du Xinjiang
© Hailun Ma, Kashi Youth (2023) / Courtesy of the artist, Gaotai Gallery and PHOTOFAIRS Shanghai (25-28 avril, Shanghai Exhibition Centre)
Hailun Ma, pour l’amour du Xinjiang
Que savons-nous de la vie des jeunes de la province du Xinjiang, en Chine ? Probablement pas grand-chose. C’est justement dans une...
26 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill