La galerie Oana Ivan a ouvert ses portes avec Compte à rebours, 2024-1960, une rétrospective inaugurale consacrée à Peter Knapp. Jusqu’au 17 avril 2025, le photographe de mode y présente des œuvres emblématiques ainsi que des compositions inédites.
Peter Knapp fait partie des photographes qui ont accompagné la démocratisation de la mode et l’écriture de son langage actuel. De fait, d’abord peintre, c’est par l’entremise d’Hélène Lazareff, fondatrice du magazine Elle, qu’il s’immisce dans ce milieu en tant que directeur artistique. Nous sommes alors en 1959 et, au même moment, les clichés commencent à se faire plus nombreux sur les pages des revues et passent peu à peu à la couleur, marquant les prémices de l’âge d’or de la presse féminine. « J’ai vécu deux évolutions en même temps : le changement technologique et celui de la mode. Il a fallu inventer des images », nous raconte l’artiste dans l’intimité de la galerie Oana Ivan. Situé au 93, rue du Faubourg Saint-Honoré, à Paris, ce nouvel écrin a ouvert ses portes au public le 17 janvier dernier. Sa première exposition, Compte à rebours, 2024-1960, rend hommage à la carrière prolifique de ce grand nom du médium et propose un accrochage qui sera amené à se transformer au fil des semaines.
Le renouvellement de l’imagerie de mode
« Quand je suis arrivé chez Elle, la haute couture était au sommet. Dans la rue, elle était reconnaissable », se souvient Peter Knapp. À l’époque, les couturières avaient coutume de reproduire des tenues inspirées de grandes maisons telles que Chanel, Dior ou encore Balenciaga. Leur identité visuelle était forte et, en conséquence, sélective, car elle ne s’adressait qu’à certains types de femmes qui se retrouvaient dans ce style singulier. Seulement, l’arrivée de Mary Quant et de Courrèges sur la scène mode a bouleversé les codes établis. Le vestiaire féminin s’est défait de ses carcans, la métamorphose est radicale. Gants, chapeaux, tailles cintrées et talons hauts sont délaissés au profit du confort tandis que les minijupes assumées découvrent les jambes et n’entravent plus le mouvement. « Subitement, la fonction était devenue aussi importante que l’apparence. Avoir vécu cette libération vestimentaire, qui a eu lieu en si peu de temps, était bluffant. Pour moi, c’était un moment marquant. Je suis passé du comble du chic à la femme à l’aise, au début du prêt-à-porter », souligne notre interlocuteur.
Cette révolution signe le renouvellement de l’imagerie de mode à laquelle Peter Knapp prend part. Pour ses compositions, il fait appel à ses amies plutôt qu’à des mannequins et les immortalise dans la rue. Il n’est plus question d’être statique, il convient de montrer l’action du quotidien, d’ouvrir le champ des possibles. Les mises en scène se multiplient alors, de même que les astucieux effets expérimentaux, si caractéristiques de sa pratique. Ils font écho à cette façon de se vêtir, devenue beaucoup plus ludique. Celui qui se qualifie de « faiseur d’images » s’inscrit ainsi dans une esthétique du mouvement. Il incarne une époque autant qu’il participe à esquisser les contours de celle qui suivra, même si ce changement de paradigme s’est opéré avec le temps. « C’est très récent que les photographes de mode soient considérés comme des artistes, déclare-t-il. Il s’agit d’un travail de commande, c’est un art appliqué. Les clichés étaient faits pour être imprimés, par pour être de l’art, malgré leur dimension plastique. Nous étions seulement témoins d’un vêtement qu’une autre personne avait créé. »
Une créativité infinie
C’est cette effervescence, les débuts d’un nouveau chapitre dans l’histoire de la mode que la galerie Oana Ivan a souhaité cristalliser à travers Compte à rebours, 2024-1960. Parmi les projets présentés se compte une sélection de monochromes emblématiques, datant pour l’essentiel des années 1960. Nous croisons Rita Scherrer faisant danser le drapé de sa robe. Françoise Fabian apparaît de profil, une cigarette au bord des lèvres, quand Grace Jones se dévoile par fragments, ne révélant que son buste orné d’un corsage en métal. Puis il y a ce tirage bien connu, réalisé en 1981, montrant Azzedine Alaïa, tout sourire, aux côtés de Marcie Hunt qui, dos à nous, le surplombe. À cela s’ajoutent des œuvres inédites, imaginées l’année passée. « Je ne me suis jamais beaucoup occupé de la couleur. J’aime bien l’abstraction de la photographie en noir et blanc, son aspect dramatique, théâtral. Ici, j’ai puisé dans mes archives et j’ai fait des collages que j’ai scannés avant de les imprimer sur toile. À la fin, je les ai retravaillés, manuellement, avec de la gouache, par exemple. Je suis retourné vers un processus qui ressemble à la peinture, mais la base reste photographique », explique-t-il. Cette manière de procéder témoigne tout compte fait de la créativité inépuisable de Peter Knapp.