« Privilège » : le racisme à notre porte

16 juin 2020   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Privilège » : le racisme à notre porte

Avec Privilège, une série de portraits sobres illustrant des définitions de termes discriminants, le photographe Marzio Villa nous invite, avec sagesse, à interroger notre vision du racisme, et notre passé colonial.

« Les faits à caractère raciste et xénophobe ont augmenté en 2019, avec 1 142 faits comptabilisés, contre 496 en 2018 ».

Ce constat, tiré du bilan annuel du ministère de l’Intérieur, publié en janvier 2020 confirme les faits : le racisme en France est bel et bien présent, écrasant. Si le monde entier a les yeux tournés vers les États-Unis, où le mouvement Black Lives Matter prend de plus en plus d’ampleur, il est aisé d’oublier l’histoire – et les travers – de son propre pays. L’intolérance s’infiltre partout, elle s’impose dans le vocabulaire courant et devient chose commune. Elle brouille les esprits, et arrive à convaincre le public que parce qu’une injustice est coutumière, elle doit être acceptée.

« Cette expérience journalière m’est extrêmement familière – microagressions, contrôles policiers, insultes… Ces comportements, qu’ils soient subtils ou décomplexés, sont le quotidien des personnes non blanches dans les sociétés occidentales », déclare Marzio Villa. D’origine brésilienne, le photographe a grandi en Italie et a découvert son pays d’origine en 2018. Là-bas, il découvre le racisme dans un contexte hors Européen. Des disparités flagrantes entre les noirs et les blancs. Révolté, il se plonge dans des écrits sociologiques : Frantz Fanon, Angela Davis, ou encore Michele Alexander. « De ce vocabulaire typiquement anglais, et de ces concepts explorés particulièrement aux États-Unis, j’ai décidé de développer une recherche photographique européenne », poursuit-il.

© Marzio Villa© Marzio Villa

Interroger sa vision de la société

Des portraits sobres et élégants, une palette de couleurs désaturée, un décor minimaliste… Les images de Privilège se veulent fortes, et lisibles. À leurs côtés, des termes anglophones sont expliqués, déconstruisant l’idée que le racisme est un mal du passé. « Fetichism of black woman », « White Fragility », « Passing », « Orientalism » … Les définitions font l’effet d’un coup de poing et s’attaquent aux différentes branches de la xénophobie – de la peur agressive de l’Homme blanc, à la sexualisation des femmes étrangères, les pratiques haineuses ne manquent pas. « Ici, nous pensons que ces problèmes sont lointains, que notre société est plus avancée. Il faut bien comprendre que l’Europe coloniale a été créée et s’est enrichie grâce au racisme, et que celui-ci est toujours bien ancré dans nos mœurs actuelles », rappelle Marzio Villa.

Dans Privilège, pas de fioriture, mais un accent sur la beauté des modèles, sur la dignité humaine. Avec finesse, le photographe imbrique son récit dans les gestes, les regards, et les quelques objets formant de tristes natures mortes. « Ce minimalisme esthétique fait partie de mon langage photographique depuis plusieurs années, et je le trouve particulièrement efficace pour concentrer l’attention sur le thème, et les mises en scène », explique-t-il. Véritable œuvre didactique, la série fait dialoguer mots et portraits, discriminations et discriminés. En effaçant toute scénographie superflue, l’artiste inscrit son travail dans une intemporalité nécessaire, et invite le regardeur à interroger sa vision de la société, passée, présente et future. « Il faut prendre le temps de réfléchir à nos actions quotidiennes et remettre en cause des habitudes inculquées par un racisme systémique ambiant », conclut Marzio Villa.

© Marzio Villa© Marzio Villa
© Marzio Villa
© Marzio Villa© Marzio Villa
© Marzio Villa© Marzio Villa

© Marzio Villa

Explorez
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
© Carla Rossi
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
Dans son ouvrage Bellissima, publié par Art Paper Editions, Carla Rossi explore les désirs, les façades et les codes qui façonnent la...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
5 événements photo à découvrir ce week-end
Rikka, la petite Balinaise, Fernand Nathan, Paris, 1956 © Dominique Darbois, Françoise Denoyelle.
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
29 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Victor Gassmann : « Je crois en la matière »
Affiche Pictorial Service rue de la Comete 1950 © Archives Picto
Victor Gassmann : « Je crois en la matière »
Arrière-petit-fils de Pierre Gassmann, Victor Gassmann veille sur l’héritage de Picto, laboratoire emblématique qui a façonné le tirage...
27 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Les images de la semaine du 17 novembre 2025 : portraits du passé et du présent
I Saw a Tree Bearing Stones in Place of Apples and Pears © Emilia Martin
Les images de la semaine du 17 novembre 2025 : portraits du passé et du présent
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes de Fisheye dépeignent différentes réalités. Certains puisent leur inspiration...
23 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
© Carla Rossi
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
Dans son ouvrage Bellissima, publié par Art Paper Editions, Carla Rossi explore les désirs, les façades et les codes qui façonnent la...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #535 : surfaces texturées
© Laura Barth / Instagram
La sélection Instagram #535 : surfaces texturées
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine explorent la matérialité de la photographie. Du papier aux émulsions, en passant...
02 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Twin Peaks, ambiguïté et nature morte : dans la photothèque de Stan Desjeux
Si tu devais ne choisir qu’une seule de tes images, laquelle serait-ce ? © Stan Desjeux
Twin Peaks, ambiguïté et nature morte : dans la photothèque de Stan Desjeux
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
01 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #567 : Himanshu Vats et Grant Harder
© Grant Harder
Les coups de cœur #567 : Himanshu Vats et Grant Harder
Himanshu Vats et Grant Harder, nos coups de cœur de la semaine, explorent la nature, et les liens qu’elle entretient avec les humains. Le...
01 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger