Avec Privilège, une série de portraits sobres illustrant des définitions de termes discriminants, le photographe Marzio Villa nous invite, avec sagesse, à interroger notre vision du racisme, et notre passé colonial.
« Les faits à caractère raciste et xénophobe ont augmenté en 2019, avec 1 142 faits comptabilisés, contre 496 en 2018 ».
Ce constat, tiré du bilan annuel du ministère de l’Intérieur, publié en janvier 2020 confirme les faits : le racisme en France est bel et bien présent, écrasant. Si le monde entier a les yeux tournés vers les États-Unis, où le mouvement Black Lives Matter prend de plus en plus d’ampleur, il est aisé d’oublier l’histoire – et les travers – de son propre pays. L’intolérance s’infiltre partout, elle s’impose dans le vocabulaire courant et devient chose commune. Elle brouille les esprits, et arrive à convaincre le public que parce qu’une injustice est coutumière, elle doit être acceptée.
« Cette expérience journalière m’est extrêmement familière – microagressions, contrôles policiers, insultes… Ces comportements, qu’ils soient subtils ou décomplexés, sont le quotidien des personnes non blanches dans les sociétés occidentales », déclare Marzio Villa. D’origine brésilienne, le photographe a grandi en Italie et a découvert son pays d’origine en 2018. Là-bas, il découvre le racisme dans un contexte hors Européen. Des disparités flagrantes entre les noirs et les blancs. Révolté, il se plonge dans des écrits sociologiques : Frantz Fanon, Angela Davis, ou encore Michele Alexander. « De ce vocabulaire typiquement anglais, et de ces concepts explorés particulièrement aux États-Unis, j’ai décidé de développer une recherche photographique européenne », poursuit-il.
Interroger sa vision de la société
Des portraits sobres et élégants, une palette de couleurs désaturée, un décor minimaliste… Les images de Privilège se veulent fortes, et lisibles. À leurs côtés, des termes anglophones sont expliqués, déconstruisant l’idée que le racisme est un mal du passé. « Fetichism of black woman », « White Fragility », « Passing », « Orientalism » … Les définitions font l’effet d’un coup de poing et s’attaquent aux différentes branches de la xénophobie – de la peur agressive de l’Homme blanc, à la sexualisation des femmes étrangères, les pratiques haineuses ne manquent pas. « Ici, nous pensons que ces problèmes sont lointains, que notre société est plus avancée. Il faut bien comprendre que l’Europe coloniale a été créée et s’est enrichie grâce au racisme, et que celui-ci est toujours bien ancré dans nos mœurs actuelles », rappelle Marzio Villa.
Dans Privilège, pas de fioriture, mais un accent sur la beauté des modèles, sur la dignité humaine. Avec finesse, le photographe imbrique son récit dans les gestes, les regards, et les quelques objets formant de tristes natures mortes. « Ce minimalisme esthétique fait partie de mon langage photographique depuis plusieurs années, et je le trouve particulièrement efficace pour concentrer l’attention sur le thème, et les mises en scène », explique-t-il. Véritable œuvre didactique, la série fait dialoguer mots et portraits, discriminations et discriminés. En effaçant toute scénographie superflue, l’artiste inscrit son travail dans une intemporalité nécessaire, et invite le regardeur à interroger sa vision de la société, passée, présente et future. « Il faut prendre le temps de réfléchir à nos actions quotidiennes et remettre en cause des habitudes inculquées par un racisme systémique ambiant », conclut Marzio Villa.
© Marzio Villa