Quand la noirceur pénètre les cœurs

05 novembre 2020   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Quand la noirceur pénètre les cœurs

Pour réaliser Polar Night, le photographe américain Mark Mahaney a passé douze jours en Alaska, dans une ville plongée dans l’obscurité. Un périple marqué par un froid glacial et une violence insidieuse.

Utqiagvik, la ville la plus septentrionale des États-Unis. Située en Alaska, elle se trouve à environ 550 kilomètres au nord du cercle arctique. Dans cette région, la Nuit polaire dure 65 jours. 65 jours plongés dans les ténèbres, le soleil absent incapable de faire fondre la neige qui s’accumule et crisse sous les pas des rares courageux osant s’aventurer à l’extérieur. Le vent souffle, s’abat sur les corps, et la peau brûle de froid en quelques secondes. C’est dans ce lieu aussi cauchemardesque qu’extraordinaire que Mark Mahaney a réalisé Polar Night, sa toute première monographie.

« Je ressentais à l’époque un grand besoin de construire un projet personnel après avoir passé des années à réaliser des commandes. Alors que je cherchais l’inspiration, j’ai lu, dans un journal, un article dédié à cette ville, qui s’apprêtait à connaître deux mois d’obscurité. J’ai ensuite appris que ce lieu avait été nommé “le point zéro du réchauffement climatique”. J’étais conquis », raconte le photographe. Parti avec l’intention de terminer son projet en une journée, Mark Mahaney comprend rapidement qu’il lui faut s’immerger dans cette atmosphère unique pour mieux lui faire honneur. « J’ai finalement passé douze jours dans cette longue nuit et je suis reparti lorsque le soleil s’est levé », précise-t-il.

© Mark Mahaney

Un film noir

Récit glacial, Polar Night illustre un monde mort, figé par la neige, qui engloutit les routes et les maisons. Immaculée, et éclairée par les lumières artificielles des foyers, des phares de voiture, elle devient protagoniste d’un conte terrifiant. Seuls les chiens animent les clichés. Agressifs, ils montrent leurs crocs et s’abandonnent à leurs origines sauvages. En quelques images, Mark Mahaney met en scène un véritable thriller. Dans ce décor sordide digne d’un film noir, les ténèbres révèlent les excès humains. « Le nombre de crimes, la consommation de drogue, et la dépression augmentent rapidement en cette période. C’est dans cette ville que le taux de suicide est le plus élevé, aux États-Unis. Mes images sont le reflet de ce que j’ai ressenti en arrivant dans cet endroit. L’obscurité, les températures brutales, le vent, cette ville qui ressemble à une véritable entité, et l’énergie des gens que j’ai rencontrés m’ont déprimé », confie le photographe.

À Utqiagvik, la noirceur pénètre même les cœurs des hommes. Dans ces terres endormies, la violence est cachée, abritée derrière les murs. Presque irréel, le paysage capturé par Mark Mahaney révèle différents extrêmes – les températures intolérables, et le désespoir des habitants. « Finalement Polar Night est un poème imagé, traitant d’endurance, d’isolation et de survie », conclut l’artiste.

 

Polar Night, Éditions TRESPASSER, 45€, 52 p. 

© Mark Mahaney

© Mark Mahaney© Mark Mahaney

© Mark Mahaney

© Mark Mahaney© Mark Mahaney

© Mark Mahaney

© Mark Mahaney© Mark Mahaney

© Mark Mahaney

© Mark Mahaney

Explorez
Rafiq Farhan : les rayons du bonheur
© Rafiq Farhan
Rafiq Farhan : les rayons du bonheur
L’univers de Rafiq Farhan est pareil à une balade en contrées poétiques, où les émotions nous élèvent autant qu’elles nous renversent....
22 septembre 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
Mort d’Erwin Olaf : l’héritage du célèbre photographe néerlandais
© Erwin Olaf
Mort d’Erwin Olaf : l’héritage du célèbre photographe néerlandais
Mercredi 20 septembre 2023. Âgé de seulement 64 ans, Erwin Olaf nous quitte, suite à des complications d’une transplantation pulmonaire....
21 septembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Dans l'œil de Valentin Folliet : le chant des oiseaux morts
© Valentin Folliet
Dans l’œil de Valentin Folliet : le chant des oiseaux morts
Cette semaine, plongée dans l'œil de Valentin Folliet. Découvert dernièrement sur sa série bouleversante Tokyo Limbo, relatant un...
18 septembre 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
Les images de la semaine du 11.09.23 au 17.09.23 : un shot de fraîcheur
© Fryd Frydendahl
Les images de la semaine du 11.09.23 au 17.09.23 : un shot de fraîcheur
C’est l’heure du récap’ ! Cette semaine, les photographes de la semaine se distinguent par des esthétiques dynamiques et colorées....
17 septembre 2023   •  
Écrit par Milena Ill
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 18.09.23 au 24.09.23 : élucider notre société
« Viewing Distance » © Evan Hume
Les images de la semaine du 18.09.23 au 24.09.23 : élucider notre société
Dans le récap' de la semaine, retrouvez les images d'Alice Pallot, Interspecifics Lab, Paz Errázuriz ou encore Evan Hume !
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Ee don tehm foh eat : À table, avec Ngadi Smart
© Ngadi Smart
Ee don tehm foh eat : À table, avec Ngadi Smart
Les œuvres de Ngadi Smart, révélatrices d’une multitude de couleurs et d’un certain goût pour le surréalisme, impressionnent. À...
23 septembre 2023   •  
Écrit par Milena Ill
L'introspection familiale de Brandon Tauszik
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
L’introspection familiale de Brandon Tauszik
Le photographe et cinéaste, Brandon Tauszik raconte une pérégrination familiale à la suite d’un deuil dans son livre Fifteens Vaults.
22 septembre 2023   •  
Écrit par Lucie Guillet
Evan Hume : Trafiquer l'invisible pour mieux le voir
© Evan Hume
Evan Hume : Trafiquer l’invisible pour mieux le voir
Dans Viewing Distance, Evan Hume compile et transforme des documents déclassifiés provenant des archives du gouvernement des États-Unis...
22 septembre 2023   •  
Écrit par Anaïs Viand