Fisheye Magazine : Peux-tu nous décrire ton travail ?
Melissa Breyer : La réponse courte serait de dire que je fais de la photographie de rue mais mon travail ne rentre pas tout à fait dans ce genre, au sens classique du terme. J’ai l’habitude de dire que mon travail photographique est à la fois urbain et candide. Je cherche à montrer les moments à la fois étranges, beaux et tranquilles de la vie citadine. Je veux donner vie à des histoires souvent ignorées.
Pourquoi as-tu choisi de photographier uniquement des femmes sur leur lieu de travail ?
Je ne suis pas contre l’idée de photographier des hommes mais je me suis vraiment sentie liée à ces femmes travaillant dans les restaurants. Probablement parce que j’ai moi-même était serveuse dans un restaurant lorsque j’étais étudiante. La frontière est mince entre le service et la servitude. Et ce lien m’apparaît d’autant plus poignant lorsqu’il s’agit de femmes.
Quelles ont été tes inspirations pour ta série The Watchwomen (Les Veilleuses) ?
Les modèles elles-mêmes. Lorsque je marche dans la rue, je regarde tout le temps par les fenêtres. Je souhaite capter ces belles scènes où les femmes sont perdues dans leurs pensées en même temps qu’elles effectuent leur service. A quoi pensent-elles ? Quelle est leur histoire ? Je me le demandais toujours. J’aime imaginer leur récit de leur vie. Ces femmes sont bien plus que leur travail. Je voulais capturer ces moments qui ont suscité en moi ces interrogations.
Quel était le but de ce projet ?
Je vois de la grâce chez toutes ces femmes. Elles dressent des tables, nourrissent des gens, débarrassent des assiettes – des tâches qui sont banales mais aussi essentielles, vitales. Leur travail est difficile et parfois ennuyeux et ingrat, mon objectif était de mettre en avant leur dignité.
Pourquoi as-tu choisi ce titre, The Watchwomen ?
Linguistiquement, les mots « serveur » et « veilleur » viennent de la même racine. En un sens, ces deux termes sont interchangeables. J’ai féminisé le terme « veilleur » car je trouve qu’il décrit magnifiquement bien ces femmes. Certes, elles sont serveuses mais il y a plus d’attention et d’action dans le fait de regarder plutôt que d’attendre [la venue d’un client]. Alors je leur ai inventé un nouvel emploi, « watchwomen ». Il y a du pouvoir à regarder. Il y a beaucoup de pouvoir dans le regard.
Est-ce une série féministe ?
En effet, il y a une composante féministe dans ce projet. Parmi les petits boulots, le service permet d’avoir un niveau d’indépendance tout en ayant des salaires décents. Les heures et les horaires sont flexibles et souvent un travail à temps partiel est suffisant pour vivre. J’ai connu des femmes qui ont évité de mauvaises situations grâce à leur emploi de serveuse. J’ai aussi connu plusieurs femmes qui ont pu poursuivre leurs études et mener à bien leurs projets artistiques, leurs projets de voyages en travaillant dans des restaurants. C’est un ticket d’entrée vers une vie indépendante. C’est pour cette raison, entre autre, que je vois autant de dignité dans leur travail.
Que ressens-tu lorsque tu parviens à capturer ces regards ?
Du bonheur ! Entre le cadrage, les réglages de l’appareil photo et la capture du moment, il y a beaucoup plus de ratés que de succès. Je suis aussi très admirative : devant moi, il y a des femmes satisfaites et remplies d’espoir.
Quel est ton prochain projet ?
J’ai quelques idées à l’esprit mais rien de vraiment concret encore. Je sais que je veux continuer à photographier des gens dans la ville. C’est un projet en cours qui ne se terminera jamais.
Peux-tu résumer cette série en trois mots ?
Compassion, admiration et reconnaissance.
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Découvrez l’intégralité du travail de Melissa Breyer sur son site : www.melissabreyer.com
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