Au Musée départemental Arles antique, Marguerite Bornhauser convoque un cosmos hors du temps, inspiré par les fragments d’histoire retrouvés au cœur d’un chantier de fouille de la ville. Une œuvre immersive où l’immensité de l’espace croise les fragments les plus microscopiques. À découvrir jusqu’au 24 septembre.
C’est dans le cadre d’une résidence sur un chantier de fouilles archéologiques arlésien – organisée en 2015 par les Rencontres d’Arles, l’Institut national de recherches et d’archéologie préventive et le Musée départemental Arles Antique – qu’est né Retour à la poussière [Back to Dust]. Alors tout juste diplômée de l’ENSP, Marguerite Bornhauser s’immerge dans le quartier de Trinquetaille, près des rives du Rhône. Un espace résidentiel contemporain abritant des vestiges d’un autre temps. « J’ai franchi les portes en ruine d’une ancienne verrerie datant de la Révolution française. La première chose qui m’a marquée sur place fut la prise de conscience des couches successives de vies, des strates de temps que ce lieu révélait », se souvient la photographe. En discutant avec trois archéologues, elle apprend qu’une première fouille avait révélé, dans les années 1980, une maison romaine datant du premier siècle dont les superbes mosaïques ornent désormais les pièces du musée départemental. 35 ans plus tard, sous ses yeux, c’est une autre maison construite au premier siècle avant Jésus Christ qui émerge, dévoilant des fresques murales aux couleurs chatoyantes. « J’ai été frappée par le passage de notre époque à cette période. Tout ce qui restait étaient les pierres, les vestiges, les constructions, les enduits peints… Qu’est-ce qui traverse les âges, qu’est-ce qui retourne à la poussière ? Ce sont des questionnements qui ont vite émergé dans mon esprit », confie-t-elle.
Bercée par les couleurs, les textures et l’abstraction, Marguerite Bornhauser compose, depuis plusieurs années, un univers aux frontières du pictural et de l’abstraction où s’entrechoquent des close-ups et des vues panoramiques qui brouillent nos repères et nourrissent notre imaginaire. Une esthétique qu’elle applique à Retour à la poussière [Back to dust]. Comme pour souligner la non-linéarité du temps, elle fait de ces artefacts anciens des éclats venus du cosmos, aussi splendides qu’inaccessibles. « J’ai décidé de jouer avec les échelles photographiques, projetant le fragment antique de quelques centimètres sur un fond correspondant souvent à un détail – pris au microscope ou au télescope – évoquant d’emblée l’immensité, l’infini d’une nuée de constellations. L’objet se trouve alors comme suspendu, à l’égal du temps dont il est le témoin », raconte-t-elle.
Un voyage aux frontières du réel
Et en pénétrant dans la grande salle du Musée départemental Arles antique, la magie opère. L’obscurité nous accueille, synonyme d’un voyage dans l’espace. Les ruines évoquent les astéroïdes millénaires et le sable une poussière d’étoiles venant nimber ces visions cosmiques. Du sol au haut plafond, les œuvres créées par la photographe semblent briller, flottant dans le vide, nous offrant un voyage aux frontières du réel. « À chaque nouveau projet, j’essaie de trouver une forme qui correspond au sens que je veux lui donner. Selon moi, un projet n’existe qu’une fois qu’il a trouvé son enveloppe adéquate. Il y a naturellement eu un long travail de réflexion et de création autour de cette exposition pour trouver sa forme », affirme la photographe. Un projet au long cours qu’elle réalise en collaboration avec Big Time Studio. Inspirée par la manière dont les archéologues conservent les fragments d’enduits peints – qu’ils placent dans des caisses contenant du sable noir – comme par la zone de fouille située dans une ancienne verrerie, elle joue avec les matériaux pour mieux nous immerger. « Certaines images sont imprimées sur des supports transparents, et toutes les stèles présentant les enduits peints sont en verre. À cela s’ajoute la question du sol, primordiale en archéologie. J’ai donc placé par terre, au centre de l’exposition, une grande vitrine de verre remplie de sable noir dans laquelle nous avons entreposé des fragments soigneusement choisis avec Marie Pierre Rothé, archéologue. Je voulais qu’elle sélectionne ceux qui lui procurent des émotions, qui lui plaisaient, formellement ou visuellement », explique Marguerite Bornhauser.
Au niveau des cimaises, à l’entrée, des percées en forme de lamelles de verre de microscopes permettent d’entrevoir la suite de l’installation, invitant le·a visiteurice à endosser le rôle d’un·e chercheur·se en observant comme à travers un viseur les créations à venir. Une manière aussi de jouer avec la notion de temps, comme si l’on parvenait à entrevoir un passé lointain par ces étranges interstices.
Et là, dans la fraîcheur bienvenue du musée, au cœur d’un univers en lévitation où se croisent poussières d’étoiles et de terre, débris d’arts anciens et miettes d’astres millénaires, nos repères s’effacent, éclipsés par le pouvoir de l’abstraction, de l’évocation. Brillant dans cette nuit artificielle, les œuvres de l’artiste nous renvoient à notre fascination pour la cosmologie, à notre attrait pour l’antiquité. Loin du monde contemporain, Marguerite Bornhauser parvient à ériger une galaxie hors du temps, nous attirant dans une déambulation instinctive au cœur d’une œuvre immersive. Une immensité inattendue dont on ressort hypnotisé·es.