Aux côtés d’Arno Brignon et de son road trip américain, exposé dans la Galerie du Château d’Eau de Toulouse, Philémon Barbier s’affranchit lui aussi des clichés collant à la peau de son sujet : le milieu du rap. Dans Rien à perdre, il signe le portrait nuancé de groupes de musiciens en pleine création de leur identité. Jusqu’au 14 avril.
Dans la seconde galerie du Château d’Eau, des lumières tamisées éclairent les visages de jeunes artistes. Tous ont entre 18 et 25 ans, et tous composent, écrivent, produisent du rap. Réalisé dans le cadre de la grande commande nationale, financée par le ministère de la Culture et pilotée par la BnF, Rien à Perdre, la série de Philémon Barbier, nous immerge dans le quotidien de ces jeunes auteurs. Sur les murs de l’espace, dans une scénographie immersive imaginée par Ariane Kovalevsky, les formats se déclinent, les images se fondent les unes dans les autres, comme un écho à une solidarité recherchée, à un besoin d’unicité. « Ce travail n’est pas uniquement sur le rap, ou la musique. C’est avant tout une excuse pour pouvoir parler de la jeunesse. Pour lui demande comment elle évolue dans la société d’aujourd’hui », explique le photojournaliste d’origine toulousaine.
Pour développer ce projet, l’auteur a passé quatre mois à suivre les neuf personnes devenues ses modèles. Originaires de Toulouse ou de sa banlieue, tous ont en commun une envie de percer, un besoin de créer. « C’est un milieu que je connaissais bien, que j’ai fréquenté en étant adolescent, précise Philémon Barbier. Ce sont des gens qui ont mon âge, dont les dynamiques sont similaires aux miennes, en tant que photographe : ils connaissent les réalités du milieu artistique, ses galères… »
Une jeunesse en création d’elle-même
Des liens qui infusent et nourrissent la démarche de l’artiste. Privilégiant une approche documentaire – des lumières douces et chaudes, un rythme apaisé – il s’affranchit de tout cliché pour donner à voir l’humain derrière la musique. « Philémon s’est véritablement immergé dans ce monde, au cœur du rap, sans jamais être voyeur. Il a su figer des petits moments qui deviennent significatifs. Il capte des histoires, des gestes, des choses importantes », note Christian Caujolle, conseiller artistique du Château d’Eau. Dans l’espace exigu d’une chambre, les instruments les uns sur les autres ou sur un canapé, les visages baissés vers les écrans de téléphone, dans un silence nécessaire avant l’enregistrement, les musiciens prennent vie sous nos yeux. Ils se révèlent dans leurs nuances et leur normalité.
Mais plus encore, à travers Rien à perdre, Philémon Barbier souligne le rapport des musiciens aux dynamiques du milieu, tout comme leur envie de s’affranchir des carcans du patriarcat. Pour Samir Flynn, le rap devient « un outil pour retrouver sa virilité, sa masculinité », des thèmes qui, selon lui, ont été « vidés de leur sens ». Ylies Al Bhiri, quant à lui, affirme : « Ce truc de masculinité dans le rap, ça fait bander les gens, alors que quand tu arrives à t’en éloigner, tu te rends compte que tu peux proposer un regard bien plus intéressant et différent. » À travers ces témoignages récoltés dans la sphère intime des artistes, Philémon Barbier parvient à peindre le portrait complexe d’une jeunesse en création d’elle-même. Loin de toute idée préconçue s’évertuant à percevoir la musique urbaine comme un genre marginal, nourri par la violence ou un machisme à outrance, le photographe rend au contraire hommage à sa renommée croissante – comme aux interrogations sociétales qu’elle emporte avec elle. « Entre union et désunion, ce projet s’attache donc à rendre compte de la recherche d’une identité musicale autant que citoyenne », conclut-il.