Pour réaliser Canadian West, le photographe Marley Hutchinson a entrepris un road trip solitaire. Un voyage de deux semaines duquel il rapporte des fragments d’histoires, illustrant un Canada atypique, loin de ses représentations habituelles.
Street, documentaire, surréalisme, mode, natures mortes, abstraction… Les influences de Marley Hutchinson, jeune photographe britannique autodidacte, reflètent son goût prononcé pour l’éclectisme. L’artiste puise son inspiration dans les œuvres, et les « classiques photographiques » du 20e siècle. « Mon travail pourrait être défini par un constant désir d’expérimentation, des scènes monochromes poignantes, des couleurs vives et un attrait pour le mystère et le jeu », précise-t-il. Retrouvant, dans les compositions des années passées, une certaine nostalgie qui l’attire, l’auteur s’intéresse à la notion d’intemporalité, réalisant des compositions mélancoliques, aux contrastes durs, rudes, comme des fragments déchirés du passé, venu recouvrir le présent d’un voile sans âge.
On retrouve, dans les œuvres de Marley Hutchinson, la pâte de ses « maîtres photographes » – Saul Leiter, Paul Strand, Robert Frank ou encore Ernst Haas – un désir de repousser les frontières de l’image, pour mieux faire ressurgir sa dimension réelle, organique. De la scène japonaise contemporaine, et des artistes follement talentueux de Provoke, l’auteur a appris l’art des compositions, graphiques, marquantes. Des portraits pris sur le vif, dans l’action, qui, malgré tout, parviennent à saisir quelques fragments d’identités. « Je suis également ébloui par la vision de certains photographes émergents : Jamie Hawkesworth, Robbie Lawrence, Jack Davison et Harley Weir, qui viennent tous du monde de la photo documentaire », ajoute l’auteur. Des artistes se jouant eux aussi de la porosité entre les esthétiques, entre les genres, pour donner à leurs récits une profondeur nouvelle. Car c’est en faisant dialoguer les « figures de style » que Marley Hutchinson tisse ses récits. Une collection faite de contrastes, d’échos, qui s’unissent pour donner à l’ordinaire une splendeur touchante, qui marque les esprits.
Nuances, convergences et hasards
Entre road trip improvisé et esthétisme recherché, Canadian West se lit comme « un projet documentaire qui explore les habitants, les régions, et la culture d’une région peu représentée de l’Amérique du Nord : l’Ouest canadien », précise le photographe. En juin 2019, celui-ci a entrepris un périple en voiture, dans les provinces de la Colombie-Britannique, d’Alberta et de la Saskatchewan. Familles d’agriculteurs vivant loin des zones urbaines, champions de rodéo, performers indigènes, villes fantômes étrangement abandonnées… Au fil de son voyage, Marley Hutchinson capture le visage d’un Canada peu connu. Un territoire immense, réduit, dans notre imaginaire commun, à des représentations stéréotypées. « Le Canada est bien sûr un lieu de destination populaire, pourtant, les gens semblent se diriger vers les États-Unis lorsqu’il s’agit d’organiser un road trip. Si de nombreux photographes ont déjà réalisé ce parcours, j’ai réalisé que je n’avais jamais vu de série similaire, faite au Canada – ce qui a suscité mon intérêt », explique Marley Hutchinson. Avec près de 10 000 millions de km2 pour environ 37 millions d’habitants seulement, le pays impressionne. Un morceau de terre gigantesque, où naissent, çà et là, des traces de vie. Le reste de l’espace ? Un monde sauvage, inhabité, où l’Homme ne fait – tout comme l’auteur – que passer, sans jamais oser s’éterniser.
C’est cette singularité que Canadian West parvient à encapsuler. En jouant avec les couleurs et les monochromes, les textures et les formes, le photographe signe une illustration réaliste du territoire. Un portrait fait de nuances, de convergences et de hasards. Au gré de ses errances, Marley Hutchinson croise les personnages atypiques qui arpentent ces routes peu empruntées. Parmi eux, Ben, un fermier d’Alberta, dont la famille, venue d’Écosse, a migré au Canada dans les années 1950, et à qui les collines de la province rappellent son pays d’origine. Une jeune danseuse, vêtue d’une robe traditionnelle, connue pour se produire lors des pow-wows – des rassemblements chamaniques Nord amérindiens. Ou encore un vieil homme vivant dans une ancienne ville minière de Colombie-Britannique, collectionnant, dans sa boutique, des objets de tout âge : cloches de bateaux, pièces de machines, tuyaux, drapeaux… « Il m’a fait découvrir une exposition d’art plongée dans le noir, éclairée par des lumières fluorescentes et installée sous son magasin. C’était un type intéressant », se souvient le photographe. Loin des clichés d’un Canada populaire, où les paysages enneigés s’opposent aux métropoles et aux foules, Canadian West propose une excursion dépaysante dans un espace inexploré. Un récit à la chronologie libre, révélant, au bord des routes, des panoramas somptueux, et des visages bouleversants.
© Marley Hutchinson