Scarlett Coten à la poursuite des masculinités plurielles

24 octobre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Scarlett Coten à la poursuite des masculinités plurielles
© Scarlett Coten. Colton, Austen Texas, USA 2019
© Scarlett Coten. Matthieu, Brest, France 2023
© Scarlett Coten. Amman, Jordanie 2016

Du 24 octobre au 30 novembre, la photographe Scarlett Coten présente pour la première fois à la galerie Les filles du calvaire, Trilogie M, constituée de trois séries réalisées entre 2012 et 2023 sur les masculinités contemporaines. Au cours d’une décennie, elle parcourt trois continents — Afrique du Nord, l’Amérique et l’Europe — pour dresser un portrait tendre et politique de celleux qui révolutionnent la définition de ce qu’est être « masculin » au 21ᵉ siècle.

Iels s’appellent Adrien, Amman, Charles, Hazem, Jesse ou Matthieu. Iels vivent leur masculinité en dehors des carcans imposés par la société à travers le monde. Ce sont leurs histoires, leurs quêtes de liberté et leurs expressions de genre que Scarlett Coten raconte dans un voyage visuel qui a duré plus d’une décennie. À la galerie Les filles du calvaire, la photographe dévoile l’exposition Trilogie M, issue de son projet de longue haleine aux trois chapitres géographiques distincts, Mectoub, Plan américain et La disparition de James Bond. « Aujourd’hui, le sens de la trilogie, c’est de monter à quel point la question des masculinités contemporaines est universelle », confie la photographe. De l’Égypte à la Tunisie, en passant par les états du Texas ou de l’Illinois, pour finir dans plusieurs villes de France, l’artiste est partie à la recherche de celleux qui redéfinissent les codes du genre masculin aux cœurs de changements sociétaux majeurs – Printemps arabes, élection de Donald Trump, le lendemain de la crise de covid-19 en France. Des portraits colorés d’hommes qu’elle a rencontrés dans des cafés ou au détour d’une rue sont ponctués des décors représentant les trois continents qu’elle a sillonnés, témoins des rapports d’intimité qu’elle a créé avec ses modèles dans des pays où il ne fait pas toujours bon d’être soi-même. « Ces images apportent du contexte aux portraits, mais racontent aussi mes différents road trips tout en parlant des sociétés que je traversais », ajoute-t-elle. Son regard féminin transcende les frontières autant culturelles que géographiques et révèle la déconstruction du mythe de la masculinité qui s’opère à travers le monde.

© Scarlett Coten. Khalid, Amman, Jordanie 2016
© Scarlett Coten. Jeremy, New Orleans Louisiane, USA 2018
© Scarlett Coten. Sami, Flagstaff, Arizona 2019

M pour « aime, masculin et mon voyage »

Le titre, Trilogie M, évoque le lien qu’elle tisse entre ces personnes d’horizons différents. « M, ça avait du sens, comme le mot “aime”, comme “masculin”, mais aussi comme “mon voyage” à travers les pays d’Afrique du Nord, les États-Unis et la France, mais aussi à travers cette révolution de ce que veut dire être un homme aujourd’hui » déclare Scarlett Coten. C’est par la volonté de changer l’image stéréotypée de l’homme arabe que l’artiste se lance à la poursuite des masculinités contemporaines. « On parle beaucoup de la condition des femmes dans ces pays, au point qu’on occulte celle des hommes. Je voulais démontrer qui iels étaient réellement » raconte-t-elle. En 2012, à l’aune des Printemps arabes, elle commence son travail Mectoub, dont le titre est un jeu de mots faisant référence aux mots « mec » et « Mektoub », expression qui veut communément dire « c’est le destin ». De Beyrouth à Alger, des peaux tatouées aux talons aiguilles, elle rentre dans l’intimité de cette jeunesse qui ose se montrer courageuse face à la répression des identités multiples. Récompensée par le prix Leica Oskar Barnack en 2016 pour Mectoub, l’artiste s’envole la même année pour l’Amérique qui venait de passer sous le joug de Donald Trump. « C’était une évidence, je devais aller rencontrer les jeunes Américain·es qui avaient ce désir d’être eux-mêmes, mais confronté·es à un retour au conservatisme », affirme Scarlett Coten. Voulant pousser sa réflexion encore plus loin, elle entend l’appel d’un troisième continent. Avec la propagation de covid-19 sur la surface de la Terre, elle décide de photographier les jeunes hommes de sa terre natale, la France. De ses photographies, respire le mot « liberté ». De ses photographies, respire une jeunesse en proie aux changements des codes du genre, une jeunesse qui brave les interdits, tantôt sociaux, tantôt légaux. Dans l’exposition, l’histoire se complète. Une histoire planétaire qui s’écrit au-delà des frontières, au-delà des religions, au-delà des systèmes politiques. « Cette histoire, c’est celle de la liberté d’être soi-même, indépendamment du genre qui nous est attribué à la naissance », conclut Scarlett Coten qui souhaite désormais éditer un livre photo de ce travail documentaire.

© Scarlett Coten. Seattle Washington, USA 2017
© Scarlett Coten. Sacha, Dunkerque, France 2022
© Scarlett Coten. Yahia, Tunis, Tunisie 2014
À lire aussi
Et si on redéfinissait la masculinité ?
Et si on redéfinissait la masculinité ?
Dans Boys will be, le photographe américain Jon Ervin s’intéresse à la masculinité. Une notion qu’il explore, apprivoise et déconstruit…
24 mai 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Coming out, nu masculin et désert de Namibie : dans la photothèque de Michael Oliver Love
La première photographie qui t’a marquée et pourquoi ? © Michael Oliver Love
Coming out, nu masculin et désert de Namibie : dans la photothèque de Michael Oliver Love
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur…
04 juin 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Désiré, désapé, libéré
© Ahmad Naser Eldein. Afloat.
Désiré, désapé, libéré
Livres, magazines, collecte participative… Les initiatives se multiplient pour diversifier la représentation du corps masculin et offrir…
26 septembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Explorez
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
© Bastien Bilheux
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
Bastien Bilheux et Thao-Ly, nos coups de cœur de la semaine, vous plongent dans deux récits différents qui ont en commun un aspect...
08 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dörte Eißfeldt, lauréate du prix Viviane Esders 2025
© Dörte Eißfeldt
Dörte Eißfeldt, lauréate du prix Viviane Esders 2025
Dörte Eißfeldt reçoit le prix Viviane Esders 2025 pour une œuvre qui repousse les frontières du médium, alliant rigueur conceptuelle et...
06 décembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
© Carla Rossi
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
Dans son ouvrage Bellissima, publié par Art Paper Editions, Carla Rossi explore les désirs, les façades et les codes qui façonnent la...
03 décembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
5 événements photo à découvrir ce week-end
Rikka, la petite Balinaise, Fernand Nathan, Paris, 1956 © Dominique Darbois, Françoise Denoyelle.
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
29 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
© Damien Krisl
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
Chaque mois de décembre, Pantone dévoile sa couleur pour l’année suivante. Pour 2026, il s’agira de « Cloud Dancer », à savoir une nuance...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Italie, Sicile, Taormine, 1981 © Raymond Depardon / Magnum Photos
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Après huit mois de travaux pour rénovation, le Pavillon populaire de Montpellier rouvre ses portes. À cette occasion, le musée...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Twist : les basculements du regard de Grade Solomon
© Grade Solomon
Twist : les basculements du regard de Grade Solomon
Grâce à l'impression risographie, Grade Solomon raconte les formes de vie et les états d’âme dans ce qu’ils ont de familier et de...
09 décembre 2025   •  
Écrit par Milena III
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
© Melchior Dias Santos / Instagram
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine s’amusent à déformer leurs images. Ils et elles jouent avec le flou, la...
09 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger