Aventurier, amoureux des grands espaces, Sébastien Van Malleghen est aussi photographe. Et dans son ouvrage intitulé Allfather, l’artiste belge sublime la fragilité de la nature. Ses noirs et blancs crus captent le regard et lancent l’alerte : il est grand temps de choyer la beauté qui nous entoure. Entretien.
Fisheye : Tu as élaboré un triptyque explorant le système judiciaire avec deux premiers volets intitulés Police, et Prisons, tu t’es rendu en Libye pour témoigner des ruines de la dictature de Khadafi (The Ruins of Power), tu as aussi travaillé sur la drogue et ses effets… Pourquoi choisis-tu de photographier ces formes de fragilité, ces fractures humaines et sociales ?
Sébastien Van Malleghen : J’ai toujours choisi de photographier ce qui me fascine, les tabous, les non-dits, les choses que l’on veut cacher. Dans mes travaux documentaires, je capture les sujets qui me questionnent constamment : la liberté et sa privation, la violence, l’addiction, la mort, la folie, le rejet, l’isolation, la nature, l’autorité, etc. J’essaye de comprendre tout cela et de mettre en lumière ce à quoi j’ai eu accès.
Photographier les conditions extrêmes signifie s’immerger dans ces conditions particulières… Tu t’es isolé dans une cabane en Arctique par exemple. Peux-tu nous raconter ?
Vivre dans une cabane en Arctique n’a rien de très extrême, mais c’est une forme d’isolation que l’on m’a proposée lors d’une invitation pour une résidence d’artiste. J’ai tellement aimé le lieu que j’y suis retourné. C’est une cabine de pêcheur basique située au bout du fjord le long de la cote arctique norvégienne. Elle m’a offert un accès à l’espace, au silence et au noir de l’hiver dont j’avais besoin.
Là-bas, qu’as-tu appris sur le 8e art, ta pratique photographique, et la vie en général ?
Je vais en Scandinavie depuis plus de neuf ans maintenant, et une majeure partie de ma famille est nordique. J’ai sans doute appris à voir la vie de manière plus simple et beaucoup plus directe. Sans fard et sans détour, ce qui correspond aussi à ma manière de photographier. Ce n’est pas tant les lieux qui m’ont instruit, mais plutôt les gens que j’ai rencontrés sur mon chemin. Il y a aussi la gestion du silence, le fait de parler moins, mais avec beaucoup plus de sincérité et d’approcher le monde et les questions qui nous entourent avec pragmatisme et détermination.
C’est au cours de cette expérience qu’a émergé Allfather, tu peux nous expliquer ?
J’ai beaucoup voyagé ces dernières années, et ai documenté beaucoup de lieux et de problématiques. Quand je suis à l’extérieur en commande, j’ai toujours ce besoin d’aller vers la nature, de la photographier, de la regarder. Cela me touche profondément et réveille un aspect plus instinctif de mon travail. J’essaye donc de m’en rapprocher le plus possible tout en sachant que je ne suis pas un photographe animalier. Cela m’a amené à vivre des situations sublimes : j’ai nagé avec des orques en Arctique ou plus simplement, j’ai pu voir un corbeau qui s’envolait d’un poirier dans mon jardin. J’ai gardé les photographies qui étaient les plus proches de ces vibrations, et j’en ai fait un livre.
Odyssée, hommage à la nature ou bilan photographique… Que raconte ce projet ?
J’espère faire le bilan bien plus tard ! Avec Allfather j’ai voulu montrer une partie de la fragilité, de la complexité et de la force de la nature – une vision personnelle de sa beauté. Un voyage à travers un réel intense, instinctif et parfois extrême.
D’ailleurs, que signifie le titre ?
Que la nature est la force majeure et l’énergie la plus importante de cette planète. Qu’elle nous est totalement supérieure.
L’Homme est quasiment absent, pourquoi ? L’humanité ne t’intéresse plus ?
L’Homme est terriblement ego centré, nous pensons toujours que tout tourne autour de nous, de notre espèce, et l’humain à une affreuse tendance à croire qu’il est au-dessus de tout. Ce que je ne pense pas. Ici, je m’intéresse à un monde sublime, celui qui à fait naitre nos premières cartes, nos dieux et nos dessins, depuis l’époque des cavernes.
Pour Allfather, j’ai beaucoup pensé à ce monde incroyable et inconnu que les premiers hommes et explorateurs on du découvrir, ce sentiment d’être constamment entouré par des éléments qui nous dépassent, et dont nous sommes à la merci.
Qu’est-ce qu’une aurore boréale dans le ciel noir de l’hiver quand on ne peut expliquer ce phénomène ? Qu’est-ce que vient faire cette créature énorme et inconnue sous une barque de pêcheur ? Pourquoi les forêts bretonnes sont considérées comme magiques ? Les premiers hommes ont toujours considéré la nature comme une entité supérieure, et de nombreux animaux sauvages ont été divinisés. Et cela se comprend quand on s’en rapproche un peu…
Quel lien entretiens-tu à la nature justement ?
J’ai eu la chance de pouvoir y être plongé étant enfant, et de m’y être toujours intéressé. J’ai le besoin de souvent être en contact avec elle, tout en veillant à ne laisser aucune trace. Il est aussi important que notre génération la protège et l’aide à se redévelopper. Comme tous mes travaux, je photographie ce qui me fascine.
Trois mots pour décrire cet ouvrage ?
Sombre, contemplatif, sacré.
Allfather, Photopaper & Renegades, 50 €, 128 p.
© Sébastien Van Malleghen