Ne confondez pas le tumultueux Brooklyn avec Brooklin, un petit village coincé entre la côte Atlantique et les forêts très denses du Maine. La New yorkaise Sophie Barbasch en est originaire et y est retournée il y a trois ans, dans l’espoir de renouer avec sa famille perdue de vue. Elle en a tiré la série Fault Line, dont le titre métaphorique fait référence, en géologie, à une trace de la faille à la surface du sol.
« C’est l’histoire de ma famille. Le héros est le plus jeune de mes cousins : Adam », commence Sophie. « En lui rendant visite, j’ai été bouleversée par son intelligence, son humour et sa vulnérabilité. Je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir liée à lui. » En phase, ils ont tout de suite su qu’ils voulaient les mêmes images, sans rien avoir à expliquer. « J’avais l’impression qu’il était ma doublure, mon double. »
En 2013, la photographe n’avait pas vu mon père depuis sept ans. Elle voulait retourner dans sa famille pour comprendre ce qu’il s’était passé. « Je souhaitais faire des images qui exprimaient mes souvenirs : des moments de conflit, d’isolement et de désespoir. J’ai toujours eu le désir de renouer avec ma famille et d’appartenir à un tout. » Sophie a donc choisi les paysages irréels de Brooklin pour explorer ces fragments de son enfance. Adam a été l’évidence, le premier à figurer dans son projet. Au fil des années, elle est aussi apparue à l’image, ainsi que son frère, sa tante, ses cousins et finalement son père.
Dévoiler l’indicible
En grandissant, il y a beaucoup de choses que Sophie n’avait pas le droit d’exprimer : les dire à haute voix entrainait systématiquement un conflit. Elle s’est donc tournée vers la photo. Ses images font référence à ses non-dits. Sur une photo, Adam couvre la bouche et les yeux de sa cousine, sur une autre, il couvre les yeux du père de Sophie; sur une autre, son cousin tient le visage d’Adam mais Adam ne le regarde pas. « Les images ont une vraie dualité : elles montrent le sujet tout en le tenant à distance du spectateur. » Elle espère ainsi détourner la nature de la photographie : « J’espère que ce travail montre ce qui n’est pas dit, ce qui est inconnu. J’essaye de développer un projet qui cache plus qu’il ne révèle. Je veux que ces photos fonctionnent comme un rêve qui donne un aperçu de la vérité sans la dévoiler. »
Au début, la photographe voulait tout mettre en scène. Elle pensait les compositions avant même d’arriver à Brooklin. Initialement, ce contrôle de la narration visait à protéger sa famille, pour ne pas montrer ce que ses proches ne voulaient pas qu’on voit. Petit à petit, elle a davantage laissé une place au hasard. « Un jour, on se baladait et on a trouvé une énorme réserve d’assiettes et d’argenterie. Ça semblait un peu fou. Adam m’a regardé et il a dit : “c’est exactement ce qu’on attendait.“» Si elle devait retenir une photo, elle choisirait celle d’Adam sur le bateau la nuit : “Elle a un côté irréel que je recherche dans mon travail.” Pour créer, elle s’inspire surtout de Ron Jude, Aspen Mays et Mike Ashkin.
Depuis un an, Sophie vit au nord-est du Brésil pour photographier un chemin de fer en construction tout en documentant la vie quotidienne, y compris les incursions dans l’école militaire et l’église évangélique. Elle espère en tirer une série construite dans les mois à venir.
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Découvrez l’ensemble du travail de Sophie sur son site : sophiebarbasch.com