« S’il n’y avait pas d’obscurité, comment pourrions-nous vénérer la lumière ? »

06 novembre 2020   •  
Écrit par Finley Cutts
« S'il n'y avait pas d'obscurité, comment pourrions-nous vénérer la lumière ? »

Avec Odysseus’ Clepsydra, le photographe grec Makis Makris nous ensorcèle avec le noir profond de ses images artisanales. Enfermé chez lui, l’artiste nous invite, comme Ulysse, à partir en voyage, mais cette fois dans les couloirs sombres de notre esprit. Entretien.

Fisheye : Qui es-tu, Makis Makris ?

Makis Makris : Je suis né et je vis à Kavala, en Grèce. J’ai étudié la civilisation et la culture grecques en parallèle des arts graphiques. Par la suite, je suis devenu membre du Photoclub de Kavala en 2009 et j’ai rejoint le collectif B.U.L.B. basé à Bucarest en 2017.

Quel rôle joue la photographie pour toi ?

Pour moi, la photographie est tant un processus créatif qu’un besoin d’expression. C’est partir du monde intérieur de l’artiste, et s’efforcer de traduire, par l’image, ses pensées les plus intimes dans l’espace publique.

Où trouves-tu ton inspiration ?

La matière première de mes images ? Les éléments, les fragments, qui composent nos vies quotidiennes. Je trouve cette matière dans la complexité des lieux qui me sont les plus familiers. Mon objectif est de transformer cette matière brute en une nouvelle réalité métamorphosée. Tous ces éléments dépouillés de leur essence originale deviennent des sortes de sous-entendus, puisque c’est par ces derniers que je m’exprime.

© Makis Makris

Peux-tu nous parler de ta série Odysseus’ Clepsydra ?

J’avais envie de réaliser cette série depuis un certain temps déjà, mais c’est le confinement lié au Covid 19 qui m’a permis de la matérialiser. C’est le fait de rester pendant cette longue période à la maison, ajouté à une intense réflexion et inquiétude face à l’avenir, qui m’a poussé à créer Odysseus’ Clepsydra. J’ai voulu, grâce à ma routine quotidienne, créer un récit visuel personnel de façon allégorique, en m’inspirant de l’Odysée d’Homère. Notre voyage à travers la vie est une sorte de petite Odysée. Malgré les objectifs qu’on s’est fixés au départ, on se retrouve face à des rebondissements. Mais on avance quand même, jusqu’à notre destination finale, qui nous libérera.

Des épisodes en particuliers de l’Odysée qui ont influencé ton travail ?

Les concepts de quête et de voyage sont au centre de l’Odyssée. Dans notre voyage à travers la vie certains moments sont imprimés de façon indélébile dans nos esprits. Il y a des tournants dans les aventures d’Ulysse qui influencent, parfois favorablement sa quête, alors que d’autres mènent à une impasse. Sur les îles de Calypso et de Circé, par exemple, les deux divinités semblent d’abord entraver son voyage de retour, pour ensuite lui faciliter la tâche. On peut également considérer Scylla et Charybde, deux êtres menaçants et sanguinaires qui sèment la mort et le désastre, ou bien le chant envoûtant des Sirènes qui offre des promesses trompeuses. Enfin, la femme du héros, Pénélope, qui attend patiemment le retour de son mari. Tout cela constituait pour moi un cadre riche de symbolismes, et une source d’inspiration pour concrétiser mon projet.

© Makis Makris

Qu’est-ce que tu essaies de capturer dans ce périple ?

Je cherche à mettre en images les transitions émotionnelles qui ont lieu au cours de notre voyage difficile et chargé de doutes dans le monde. Le confinement est devenu le point culminant d’un processus intérieur, d’une interminable lutte à la recherche d’un équilibre, et de la recherche de notre véritable place dans l’univers.

Tu décris cette série comme un assemblages de fragments visuels. Peux-tu nous parler de ton processus de travail ?

J’ai décidé de me tourner vers d’autres méthodes pour trouver des sujets. J’ai voulu expérimenter de nouveaux moyens d’expression en utilisant la technologie. Pour cela, j’ai utilisé des archives, et je me suis efforcé de regarder pendant longtemps la télévision. J’ai photographié directement sur l’écran des scènes adaptées au récit que je voulais raconter, qui prend l’esthétique du film noir. L’idée était de cultiver une certaine spontanéité dans le jugement et la sélection de scènes que je voulais capturer. C’est pour cela que j’ai utilisé un simple appareil photo compact et même mon téléphone.

© Makis Makris

Qui sont tous ces personnages dans ton récit ?

Aucun personnage en particulier ne peut être identifié derrière les visages que je défigure. Il s’agit de personnages abstraits qui assument, d’une part le rôle de démons intérieurs que nous voulons chasser et, se tiennent d’autre part, comme des alliés qui nous donnent de l’espoir et de la foi pour ce qui est à venir.

Tu sembles loin de ta street photography habituelle. Comment es-tu venu à cette approche plus artisanale ?

La photographie de rue m’a toujours particulièrement attiré. Mais je pense que le medium n’est qu’un outil, qui aide le créateur à s’exprimer. Cette série a été créée à une époque où je voulais expérimenter d’autres formes d’expression et essayer de nouvelles choses dans mon travail. C’était une manière d’élargir mes horizons artistiques.

L’Odyssée est une métaphore de notre voyage à travers la vie. Qu’est-ce qui te pousse à lui donner cette obscurité ?

Malgré le sentiment général d’obscurité qui semble prévaloir dans la série, je considère que le vrai message est optimiste. Odysseus’ Clepsydra a une double interprétation. D’un côté, elle décrit les adversités vécues par chacun d’entre nous au cours de notre vie mais, de l’autre, elle nous rappelle le temps que nous avons et toutes les choses qu’il nous reste à vivre.

© Makis Makris

Comment se manifeste la notion de temps dans ton travail ?

Je parle du temps que nous avons devant nous. C’est le temps sur lequel repose l’espoir de rétablir notre équilibre psychologique intérieur. C’est lui qui peut nous conduire sur le chemin de la rédemption.

Il y a donc une lueur d’espoir ?

Dans l’obscurité et le chaos qui régissent nos vies, je crois qu’il y a de l’espoir. Une lumière, parfois faible, peut nous montrer le chemin, si nous la laissons faire. Quoi qu’il en soit, s’il n’y avait pas d’obscurité, comment pourrions-nous vénérer la lumière ?

Un dernier mot ?

En épilogue, je vais emprunter une partie des paroles d’Ithaque du poète grec Constantin P. Cavafis :

 

« Lorsque tu mettras le cap sur Ithaque,

Fais de sorte que ton voyage soit long,

plein d’aventures et d’expériences… »

 

© Makis Makris

© Makis Makris

© Makis Makris

© Makis Makris

© Makis Makris

© Makis Makris

© Makis Makris

© Makis Makris

© Makis Makris

© Makis Makris

© Makis Makris© Makis Makris

© Makis Makris

© Makis Makris / “Odysseus’ Clepsydra”

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