Cet article contient du contenu violent ou explicite

Sunsets de Jonas Van der Haegen : sexe radical et douce mélancolie

23 mai 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Sunsets de Jonas Van der Haegen : sexe radical et douce mélancolie
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen

Collection imposante de polaroïds intimes, l’ouvrage Sunsets de Jonas Van der Haegen propose une relecture poétique d’un langage sexuel cru. Une célébration de l’homosexualité, de la solitude qui la traverse comme de la jouissance qu’elle recherche.

Imaginez une table basse, couverte de polaroïds, de rencontres éphémères, d’instantanés de proches, d’amants de passage, d’anciens amis, d’amoureux. Les bords blancs se chevauchent, les souvenirs se fondent les uns dans les autres en un nuancier de nuits agitées, d’unions sensuelles, de rires et de désir. Une mosaïque qui célèbre les corps, qui capture l’amour, le plaisir, la joie. Les silhouettes y sont coupées, tantôt les unes par les autres, tantôt parce qu’elles sortent du cadre. Mais, dans ce désordre de l’intime, les sensations émergent. La caresse de pétales sur un torse glabre, le froid luisant du latex, les poils à l’arrière des cuisses, la salive qui coule, en quête d’une autre gorge où tomber. Ce sont toutes ces bribes d’histoires, ces détails d’une autre vie qui nous viennent, en tournant les pages de Sunsets, ouvrage de Jonas Van der Haegen.

C’est pourtant lorsqu’il n’est pas entouré que le photographe belge se sent inspiré. « La manière dont je photographie provient naturellement d’une sensation de solitude », confie-t-il d’ailleurs. Résultat de huit ans d’exploration visuelle, grâce à un Polaroïd acheté sur Facebook, le livre retrace son quotidien, ses errances comme ses envies avec une sincérité brute, marquante. « Ces photos étaient enfermées dans une boîte, mais après avoir terminé de travailler sur d’autres séries, je me suis à nouveau intéressé à elles. Je leur ai insufflé une nouvelle énergie, les emportant avec moi lors de voyages ou de rencontres avec des personnes inspirantes », se souvient-il. Au fil des mois, des ans, il élargit sa collection, y ajoutant des matchs d’applications de rencontres, des amis, ou même de brèves connaissances, dans un patchwork de rapprochements charnels et d’unions viscérales.

© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen

Le sexe pour se connecter

« J’ai fait le choix délibéré d’un langage visuel particulier, particulièrement radical par nature. Il est infusé d’une profonde charge sexuelle, et souvent capturé d’une manière directe et dominante. Je vois, dans ce lexique imagé, une forme de bouclier, ou bien d’armure », confie Jonas Van der Haegen. Pourtant, au cœur de la puissance érotique des instantanés, c’est une tout autre émotion que l’auteur entend mettre en lumière : « la solitude chez les hommes homosexuels, de mon point de vue, est assez grande. Le sexe est ainsi vu comme une manière de connecter – un remède à court terme à ce malaise », explique-t-il. Puisant dans ses propres états d’âme – et incorporant même des autoportraits à la sélection finale – le photographe entrelace les sensations comme les corps pour en faire surgir une violente tendresse. Véritable extension de lui-même, Sunsets s’affranchit de toute notion de subjectivité pour esquisser un poème fiévreux, un journal fait de langues qui s’unissent, de peaux qui se frottent, de roses qui pénètrent, leurs épines devenues allégories d’une douleur latente enfouie sous la quête de beauté.

Se tournant parfois vers l’abstraction – les polaroïds cramés réduits à des taches de couleurs, comme des clins d’œil à Rothko, dont l’auteur admire le goût pour l’absolu – ou l’humour – comme ces ballons noués autour d’une verge, dans une promesse amusante de se hisser au septième ciel – Jonas Van der Haegen accumule pour mieux partager. Alignés les uns à la suite des autres, les clichés se font témoins de l’imprévisibilité de la technique utilisée, comme des scènes qui se jouent face à l’objectif. « En me consacrant à la photographie au Polaroïd, j’ai été contraint de renoncer à un certain degré de contrôle, puisque la postproduction est impossible et la fidélité des couleurs dépend de circonstances externes », précise l’auteur. Ne reste, alors, que l’importance de l’instant, l’abandon, l’ivresse, la jouissance qui transpercent le papier. Comme des témoignages d’un échange d’une sincérité presque inatteignable, une confiance qui perdure puisqu’elle ne demande rien. Et si le photographe se défend de la moindre vocation militante ou engagée, il parvient néanmoins, avec Sunsets, à partager « une célébration radicale de l’homosexualité ». « Parce qu’à travers ma beauté, ma poésie, j’entends transformer à la fois le monde qui m’entoure, et moi-même », conclut-il.

© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
© Jonas Van der Haegen
À lire aussi
Room 416 : Sakiko Nomura nous offre un monde à (re)composer
© Sakiko Nomura / Éditions Echo 119
Room 416 : Sakiko Nomura nous offre un monde à (re)composer
Avec Room 416, Sakiko Nomura invite les lecteurices à former des triptyques au gré de leurs envies. Multipliant les associations et…
14 décembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Dé/collage d’une communauté
Dé/collage d’une communauté
Corps déconstruits, tableaux pop, archives remises au goût du jour, collages réinventant le nu et l’érotisme… La photographie queer ne…
10 février 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Fisheye #65 : engageons-nous avec Fierté
© Michael Oliver Love
Fisheye #65 : engageons-nous avec Fierté
Le dernier numéro de Fisheye, Fiertés, arrive très prochainement dans les kiosques et sur le store. Porté par la pride, le magazine…
06 mai 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Tornado Éditions
80 pages
40 €
Explorez
Les coups de cœur #498 : Tommy Keith et Patrick Gilliéron Lopreno
© Tommy Keith
Les coups de cœur #498 : Tommy Keith et Patrick Gilliéron Lopreno
Tommy Keith et Patrick Gilliéron Lopreno, nos coups de cœur de la semaine, dépeignent le paysage alentour chacun à leur manière. Le...
24 juin 2024   •  
La sélection Instagram #459 : berceuses imagées
© doongood_666 / Instagram
La sélection Instagram #459 : berceuses imagées
Un petit somme à l’ombre d’un pommier ou un rêve érotique dans un love hotel, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine...
18 juin 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #497 : Leila Calvaruso et Danae Panagiotidi
© Leila Calvaruso
Les coups de cœur #497 : Leila Calvaruso et Danae Panagiotidi
Leila Calvaruso et Danae Panagiotidi, nos coups de cœur de la semaine, documentent la vie quotidienne à l’aide de leur boîtier. La...
17 juin 2024   •  
Dans l'œil d'Anne-Laure Étienne : portrait flambant sous le soleil d'Ardèche
© Anne-Laure Étienne, Cindy
Dans l’œil d’Anne-Laure Étienne : portrait flambant sous le soleil d’Ardèche
Cette semaine, plongée dans l’œil d'Anne-Laure Étienne, qui met son regard aiguisé et ses mises en scène colorées au service des arts...
10 juin 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Reporters sans frontières : Regarder le Japon pour ce qu’il est
Julie Glassberg, Le mont Fuji depuis le camion de M. Yamamoto, livreur de bois résidant à Shizuoka, préfecture d’Aichi, sur l’île de Honshū. © Julie Glassberg
Reporters sans frontières : Regarder le Japon pour ce qu’il est
Le 76ᵉ album de la collection 100 photos pour la liberté de la presse, publié par Reporters sans frontières, s’aventure au Japon et...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
La FUJIKINA ou le pouvoir de la création d'images
© Laura Bonnefous
La FUJIKINA ou le pouvoir de la création d’images
Amateurices passionné·es, professionnel·les aguerri·es... quel que soit votre horizon, la FUJIKINA vous accueille pour sa nouvelle...
25 juin 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La sélection Instagram #460 : sortir du réel
© Jared Cobb / Instagram
La sélection Instagram #460 : sortir du réel
Si la photographie permet de se rapprocher le plus possible du réel, elle capture aussi des mondes fictifs, des pensées illusoires et des...
25 juin 2024   •  
Écrit par Marie Baranger et Milena Ill
Dans l'œil d'Igor Furtado : expressions queer tropicales
© Igor Furtado, Corpo Trópico
Dans l’œil d’Igor Furtado : expressions queer tropicales
Cette semaine, plongée dans l’œil d’Igor Furtado. Le photographe célèbre la beauté des communautés LGBTQIA+ brésiliennes, toujours en...
24 juin 2024   •  
Écrit par Milena Ill