Collection imposante de polaroïds intimes, l’ouvrage Sunsets de Jonas Van der Haegen propose une relecture poétique d’un langage sexuel cru. Une célébration de l’homosexualité, de la solitude qui la traverse comme de la jouissance qu’elle recherche.
Imaginez une table basse, couverte de polaroïds, de rencontres éphémères, d’instantanés de proches, d’amants de passage, d’anciens amis, d’amoureux. Les bords blancs se chevauchent, les souvenirs se fondent les uns dans les autres en un nuancier de nuits agitées, d’unions sensuelles, de rires et de désir. Une mosaïque qui célèbre les corps, qui capture l’amour, le plaisir, la joie. Les silhouettes y sont coupées, tantôt les unes par les autres, tantôt parce qu’elles sortent du cadre. Mais, dans ce désordre de l’intime, les sensations émergent. La caresse de pétales sur un torse glabre, le froid luisant du latex, les poils à l’arrière des cuisses, la salive qui coule, en quête d’une autre gorge où tomber. Ce sont toutes ces bribes d’histoires, ces détails d’une autre vie qui nous viennent, en tournant les pages de Sunsets, ouvrage de Jonas Van der Haegen.
C’est pourtant lorsqu’il n’est pas entouré que le photographe belge se sent inspiré. « La manière dont je photographie provient naturellement d’une sensation de solitude », confie-t-il d’ailleurs. Résultat de huit ans d’exploration visuelle, grâce à un Polaroïd acheté sur Facebook, le livre retrace son quotidien, ses errances comme ses envies avec une sincérité brute, marquante. « Ces photos étaient enfermées dans une boîte, mais après avoir terminé de travailler sur d’autres séries, je me suis à nouveau intéressé à elles. Je leur ai insufflé une nouvelle énergie, les emportant avec moi lors de voyages ou de rencontres avec des personnes inspirantes », se souvient-il. Au fil des mois, des ans, il élargit sa collection, y ajoutant des matchs d’applications de rencontres, des amis, ou même de brèves connaissances, dans un patchwork de rapprochements charnels et d’unions viscérales.
Le sexe pour se connecter
« J’ai fait le choix délibéré d’un langage visuel particulier, particulièrement radical par nature. Il est infusé d’une profonde charge sexuelle, et souvent capturé d’une manière directe et dominante. Je vois, dans ce lexique imagé, une forme de bouclier, ou bien d’armure », confie Jonas Van der Haegen. Pourtant, au cœur de la puissance érotique des instantanés, c’est une tout autre émotion que l’auteur entend mettre en lumière : « la solitude chez les hommes homosexuels, de mon point de vue, est assez grande. Le sexe est ainsi vu comme une manière de connecter – un remède à court terme à ce malaise », explique-t-il. Puisant dans ses propres états d’âme – et incorporant même des autoportraits à la sélection finale – le photographe entrelace les sensations comme les corps pour en faire surgir une violente tendresse. Véritable extension de lui-même, Sunsets s’affranchit de toute notion de subjectivité pour esquisser un poème fiévreux, un journal fait de langues qui s’unissent, de peaux qui se frottent, de roses qui pénètrent, leurs épines devenues allégories d’une douleur latente enfouie sous la quête de beauté.
Se tournant parfois vers l’abstraction – les polaroïds cramés réduits à des taches de couleurs, comme des clins d’œil à Rothko, dont l’auteur admire le goût pour l’absolu – ou l’humour – comme ces ballons noués autour d’une verge, dans une promesse amusante de se hisser au septième ciel – Jonas Van der Haegen accumule pour mieux partager. Alignés les uns à la suite des autres, les clichés se font témoins de l’imprévisibilité de la technique utilisée, comme des scènes qui se jouent face à l’objectif. « En me consacrant à la photographie au Polaroïd, j’ai été contraint de renoncer à un certain degré de contrôle, puisque la postproduction est impossible et la fidélité des couleurs dépend de circonstances externes », précise l’auteur. Ne reste, alors, que l’importance de l’instant, l’abandon, l’ivresse, la jouissance qui transpercent le papier. Comme des témoignages d’un échange d’une sincérité presque inatteignable, une confiance qui perdure puisqu’elle ne demande rien. Et si le photographe se défend de la moindre vocation militante ou engagée, il parvient néanmoins, avec Sunsets, à partager « une célébration radicale de l’homosexualité ». « Parce qu’à travers ma beauté, ma poésie, j’entends transformer à la fois le monde qui m’entoure, et moi-même », conclut-il.
80 pages
40 €