Habitué des voyages en terres lointaines, Antoine Béguier a tourné son objectif vers les campagnes françaises. Dans La traversée des ombres, il capture des régions à la beauté flétrie, victimes de la désertification et du réchauffement climatique.
Auteur français installé à Bruxelles, Antoine Béguier a découvert la photographie documentaire durant ses études, à Calcutta. « C’était en 2013, malgré ma timidité, et mon arrivée dans un pays que je ne comprenais pas, l’appareil photo est devenu un puissant sésame. Il permet des rencontres incroyables et donne accès à des lieux a priori inaccessibles », raconte-t-il. Depuis, il ne cesse de voyager et de capturer des zones en marge. De l’Iran à l’Asie centrale, il photographie le réel, l’instantané. « Je pars de l’anecdotique et de l’intime pour rendre compte d’une situation plus générale. Je reste factuel en montrant, avec sensibilité, ce que vivent les gens », précise-t-il.
En été 2020, Antoine Béguier rompt avec ses habitudes et part à la découverte de son propre pays : la France. Un périple en terres agricoles, là où l’urbain ne domine pas la nature. « Argonne, Morvan, ou Aubrac sont devenues de nouvelles invitations à l’exotisme », s’amuse-t-il. Au cours de son voyage, le photographe est confronté à l’exode rural, l’isolation, et au poids d’une énième canicule. Des enjeux – pourtant alarmants – qui restent cachés à l’ombre des arbres, loin des métropoles francophones.
Les campagnes se vident
Picturale et intimiste, la Traversée des ombres part à la rencontre des acteurs de ces territoires oubliés. Ceux qui ont délaissé la frénésie citadine pour le monde rural. « Nous avons soit une image romantique, soit une perception décliniste de la ruralité. De tous les gens que j’ai rencontrés, aucun ne souhaite quitter la campagne. Tous louent une qualité de vie extraordinaire, la beauté du quotidien, et sont attachés à la spécificité de leur terroir », explique l’auteur. Pourtant, les difficultés sont réelles. Durant un mois – et les semaines d’août les plus chaudes – Antoine Béguier en a découvert la portée. « Ce parcours m’a confirmé deux choses : les campagnes se vident, et les terres s’assèchent », confie-t-il. Pressés par les conditions climatiques déclinantes, les habitants font face à des terres flétries, et une récolte plus faible. Seuls, au cœur de leurs hectares de terrain, ils s’enfoncent dans la solitude, et doivent faire preuve de résilience. « En faisant le calcul, la densité de mon parcours était d’environ 9 habitants au km2, soit un peu plus que la densité du Kazakhstan ! », précise le photographe.
Comment faire face à un futur incertain ? Peut-on sauver les campagnes du réchauffement climatique ? Est-il déjà trop tard ? Avec un regard humain, et des compositions pittoresques, Antoine Béguier met en lumière ces incertitudes. À la lumière du soleil estival, rougeoyant et brûlant, et des bougies qui éclairent les veillées en extérieur, il fait le portrait d’une population effacée, et d’un paysage brut, malmené par une température écrasante. « J’ai passé mon été à lire Camus. Ses descriptions du soleil sombre d’Algérie, de la chaleur, de l’aridité ont fait écho à cette situation », ajoute l’auteur. Présence bienveillante comme menaçante, l’astre conté par Camus se fait allégorie des campagnes françaises. Des régions portées par les rêves des résidents, qui s’éteignent, et s’éloignent, peu à peu.
© Antoine Béguier