Pendant plusieurs années, Abhishek Khedekar s’est immiscé dans le quotidien d’une communauté nomade indienne composée d’une centaine de personnes interprétant le tamasha : une performance à mi-chemin entre la danse, la musique et l’art visuel. Prenant la forme d’une gazette, l’ouvrage du photographe, publié aux éditions Loose Joints, nous offre un regard aiguisé sur cette troupe créative et vibrante.
Fisheye : Quel est ton rapport à la photographie ?
Abhishek Khedekar : Je considère la création d’images comme une forme de narration, c’est pourquoi je me concentre généralement sur l’aspect narratif de toute œuvre. Pour moi, l’essence de mon univers créatif réside dans l’interaction de la position, de l’échelle et des relations entre les photos. Ces éléments s’assemblent pour former des motifs complexes, instillant un sentiment de cohérence semblable à celui d’une famille très unie. Je suis particulièrement attentif à la manière dont les spectateurices naviguent entre les différents médias, car cette interaction contribue à la cohésion globale du projet. En outre, j’incorpore souvent des documents d’archives qui m’ont fasciné. Ce mélange de supports et l’attention portée à la composition me permettent d’élaborer une pratique artistique riche et variée.
Peux-tu expliquer en quoi consiste le tamasha ?
Le tamasha peut désigner une représentation théâtrale, un spectacle ou un événement de divertissement. Il est généralement associé à des formes folkloriques ou traditionnelles de théâtre en Inde, comme le tamasha marathi. Il peut aussi avoir plusieurs significations en fonction du contexte. Dans mon travail, tamasha fait spécifiquement référence à Lok-Kala qui englobe une riche palette de types d’art traditionnels provenant de différentes régions.
Comment est né ton intérêt pour cette communauté ?
L’histoire remonte à l’époque où j’étais étudiant à l’Institut national de design du Gujarat. J’ai entrepris ce projet pour mon diplôme de fin d’études. Ce choix de sujet était ancré dans mon enfance, où ma fascination pour la danse, le théâtre et les spectacles culturels éclipsait d’autres centres d’intérêt comme le sport ou les études. Ma passion pour la danse folklorique, les productions théâtrales et les représentations m’a naturellement poussé à capturer l’essence du tamasha. Il s’agit d’une forme d’art très répandue dans le Maharashtra. Il m’a toujours intrigué de loin et ce projet m’a donné l’occasion de l’approfondir. J’ai eu l’impression de revisiter un souvenir lointain, cette fois à travers l’objectif du médium que j’avais choisi. J’ai alors documenté de près la vie et les performances de la troupe tamasha, en m’immergeant dans leur monde.
Sobrement intitulé Tamasha, tu décris ton ouvrage comme une docu-fiction. Pourquoi ?
Mon travail n’est pas strictement documentaire. Je suis profondément engagé dans l’exploration de diverses approches photographiques. Cela inclut l’expérimentation de divers éléments tels que les poses, l’éclairage et les vêtements afin d’insuffler à chaque image une qualité unique et fascinante. Mon intention est de transmettre les événements et les dialogues, principalement par le biais d’une narration visuelle, permettant ainsi aux clichés de communiquer de multiples façons et invitant les spectateurices à explorer leur complexité.
De plus, j’ai observé un schéma cohérent dans la manière dont les spectacles sont exécutés dans chaque village. La disposition des tentes et des scènes suit un ordre précis, ce qui les rend intrinsèquement graphiques. Cette discipline et cette organisation s’alignent sur le langage du collage, renforçant alors son lien avec les images. Tout au long du processus, je me suis également aventuré dans différentes approches en créant des livres factices. Sarah et Lewis, les éditeurices de Loose Joints, ont joué un rôle crucial dans la recherche de l’équilibre parfait entre les images et les collages, ce qui a permis d’obtenir un livre magnifiquement séquencé.
Justement, quelle place prend le collage dans ta pratique du médium ?
Mon lien avec le collage est profondément ancré dans mon exploration artistique. De façon intentionnelle, j’ai cherché à créer des images pouvant communiquer à plusieurs niveaux, invitant à l’ambiguïté. Les techniques de collage ont joué un rôle déterminant dans la réalisation de ce projet. Elles m’ont permis de manipuler des éléments visuels, de guider l’attention des lecteurices, de faire des allusions et de tisser des fils qui encouragent l’interprétation et la création de récits uniques.
Avant de t’immiscer au sein de cette troupe, connaissais-tu certain·es de ses membres ?
Oui, j’ai de nombreux·ses ami·es qui sont profondément impliqué·es dans la tradition tamasha. Après avoir passé de longues périodes avec elleux au cours de mon projet, je fais désormais partie de cette famille. Ce lien étroit a donné lieu à des interactions permanentes. Bien que je n’en aie pas beaucoup parlé, j’ai également eu l’occasion de me produire sur scène lors de ma présence au sein de la communauté.
Enfin, quel est ton meilleur souvenir lors de la réalisation de cette série ?
J’ai fait plusieurs voyages pour leur rendre visite. Il n’est pas facile de documenter la vie des autres. Je me souviens d’un moment précis où j’étais assis dans un bus avec Ba, une remarquable interprète et chanteuse octogénaire, qui fait partie de Tamasha depuis sa naissance. Elle m’a donné de précieux conseils, m’invitant à ne jamais m’aventurer seul dans les villages et à toujours garder mes chaussures. Ba m’a expliqué que si les épines sur le sol ne sont pas très dangereuses, marcher pieds nus peut entraîner des maladies et de la fièvre plus tard dans la journée, contrairement aux villageois·es locaux·les qui y sont habitué·es. Son sourire chaleureux accompagné d’une assiette de nourriture qu’elle m’a servie a été un geste mémorable, tout comme sa mise en garde de rester vigilant.
Tout au long de cette série, j’ai eu de nombreuses interactions avec presque toutes les personnes présentes. Aujourd’hui encore, je reste en contact avec certain·es de mes ami·es de la troupe, j’échange des appels et je me rends occasionnellement dans leurs villages.
88 pages
36 euros