Le centre d’art de GwinZegal à Guingamp, présente Everyday is Saturday, une exposition consacrée à Tom Wood, photographe de Liverpool, qui en a saisi l’âme pendant les années les plus dures : celles de Margaret Thatcher et du libéralisme le plus meurtrier. Une exposition à découvrir jusqu’au 15 octobre 2023.
Tom Wood n’est pas un photographe documentaire. Bien qu’il ait arpenté Liverpool et raconté son histoire comme nul·le autre, ce n’est pas dans le reportage froid et condescendant que se situe son intention. Représenter la pauvreté, la détresse humaine et la déchéance d’une ville peut se transformer en un exercice voyeuriste. Liverpool, dans les années 1970, subit de plein fouet les politiques ultra-libérales de Margaret Thatcher. La classe ouvrière traverse une crise profonde, la ville se vide, les usines ferment et celui qui était jadis l’un des plus florissants ports au monde, se mue en une ville en résistance. Le photographe est l’un de ses citoyen·nes. Il est fils d’un ouvrier et d’une de ces femmes qu’il aurait pu photographier au marché du vendredi. Il n’est pas un reporter, mais le portraitiste de sa propre ville. L’exposition Everyday is Saturday au centre d’art de GwinZegal met en avant ce regard empathique et sensible, libéré de tout jugement moral, de toute esthétisation de la pauvreté, du mépris, de l’ironie et du cynisme de celles et ceux que la tragédie ne concerne pas. Aucun avis n’est exprimé à travers ces portraits de rue. Une énergie guerrière se libère néanmoins de ses photos : celle du Liverpool rebelle, qui donne naissance à la Merseybeat, la déferlante rock qui envahit l’Angleterre, puis le monde entier, et qui accouche de groupes aussi iconiques que les Beatles. Antimonarchique, anti-brexit, ouvrière et ouverte sur le monde, Liverpool est la ville la plus à gauche d’Angleterre, à l’heure où l’économie le met à genoux en virant à droite toute.
En quête d’amour : libération des corps, pistes de danse et paillettes
L’exposition au centre GwinZegal dévoile plusieurs séries, qui témoignent de la grande cohérence narrative de Tom Wood tout au long de ces plus de quarante ans. Certains travaux immortalisent la rue, les familles, les fratries, les amitiés et les amours. D’autres, sont dédiés aux ouvriers du port, qui sont sur la sellette, dans l’attente que les usines ferment. Une longue période de chômage et d’incertitude s’ouvre pour eux. Loin d’esthétiser leur souffrance ou de se lancer dans le reportage, Wood les photographie à la manière d’un album de famille. Mais la série sans doute la plus stupéfiante est Looking for love, un travail consacré au night-club Chelsea Reach, que le photographe fréquente assidûment. C’est ici que Liverpool s’abandonne à la gaîté et à la joie en oubliant, le temps d’un samedi soir, la disette et la débrouille. Moquette qui colle aux chaussures, lumières étincelantes, odeur de clope et piste de danse : le club est l’endroit où les opprimé·es du thatcherisme reconquièrent leur corps, asservi au travail. Entre séduction, danse et révolte, Looking for love s’impose comme une série explosive qui permet au photographe de s’essayer à la couleur, un art dont il sera l’un des pionniers.