Du 15 février au 29 mars, la galerie du Bronx Documentary Center, à New York, accueille Trump Revolution : Immigration. Le premier volet d’une série d’expositions faisant l’état des lieux d’une Amérique plus que jamais divisée.
« Les élections américaines de 2016 et leurs conséquences ont considérablement transformé le visage de l’Amérique. Cette mutation touche de nombreux domaines : les relations internationales, les enjeux environnementaux, ou encore la question de l’immigration. Il nous a semblé nécessaire d’organiser une exposition alors que ces changements affectent toujours de nombreuses personnes, sans attendre les nouvelles élections, en 2020 »,
déclarent Michael Kamber et Cynthia Rivera, les deux commissaires de l’exposition. Projet d’envergure, Trump Revolution se déclinera en plusieurs chapitres, abordant, pendant une année entière, des thèmes actuels et alarmants.
Sujet divisant les États-Unis, angle d’attaque favori de Trump, l’immigration – premier chapitre de cet événement – a intéressé de nombreux artistes. Photographes, auteurs et vidéastes, souhaitant témoigner, ont répondu à l’appel du Bronx Documentary Center. Huit artistes ont été retenus (Greg Constantine, Kholood Eid, John Moore, Luis Antonio Rojas, Elliot Ross, Griselda San Martin, Cinthya Santos-Briones et Laura Saunders), accompagnés par les photographes de Magnum Photos. « Nous avons sélectionné des projets qui s’intéressent à différents espaces, différents thèmes. L’objectif ? Donner à voir un panorama divers et complet », précisent les commissaires. Centres de détention, sanctuaires, villes de passage et, bien sûr, frontières… autant de thématiques qui ont passionné les auteurs.
© Luis Antonio Rojas
Redonner une dimension humaine
Au cœur de l’événement, aucune trace de la politique pro-Trump. Pour cause, Michael Kamber et Cynthia Rivera ont peiné à trouver des travaux visuels représentant les défenseurs du président. « Les médias plus conservateurs n’ont peut-être pas pour habitude de publier des projets documentaires au long cours », estiment-ils. Une absence renforçant le message d’espoir véhiculé par les séries présentées. En octobre 2018, Luis Antonio Rojas a suivi la caravane de migrants traversant le Mexique. Un rassemblement spontané, solidaire et émouvant. En fuyant la crise en Amérique latine, ces hommes, femmes et enfants se rattachent à l’espoir d’un monde meilleur. Cette notion d’entraide a également inspiré Cinthya Santos-Briones, qui s’est intéressée aux sanctuaires religieux. Ces espaces sacrés qui se transforment et s’adaptent au flux humain, en s’ouvrant aux différents cultes dans un monde dominé par la persécution. Une belle leçon de tolérance.
La réalisatrice Laura Saunders présente Let them have water, un film réalisé en 2019, en réaction à la politique de Prevention through Deterrence (NDLR, la prévention par la dissuasion). Une pratique instaurée en 1994, visant à rendre plus difficile l’accès à certaines entrées aux États-Unis, conduisant les migrants à s’enfoncer dans le désert, à la recherche d’une autre ouverture. La conséquence ? Des milliers de morts, disparus dans l’océan de sable. En centrant son film sur Scott Warren, un activiste emprisonné pour avoir protesté contre ces lois, l’artiste met en lumière une pratique souvent censurée. Suivant son exemple, Greg Constantine a réalisé Seven Doors : American Gulag. Une série photographique mettant à jour les centres de détention de migrants. Les Américains se rendent-ils compte de la nature menaçante de tels espaces ? s’interroge-t-il. Dans un noir et blanc cru, réaliste, il capture ces espaces, perdus dans des terres désolées : car en coupant ces prisons de tout contact humain, les autorités rendent plus compliqué l’accès aux familles, aux avocats, et déshumanisent les détenus. Un travail courageux, redonnant à ces enjeux une dimension humaine.
© Greg Constantine / Seven Doors
Les frontières et leurs influences
Dans American Backyard, Elliot Ross s’intéresse quant à lui aux territoires situés aux limites de la frontière américano-mexicaine. Au nord comme au sud, il fait l’état d’un racisme latent, d’injustices et de discriminations aux échos conséquents. En se concentrant sur la barrière physique, il donne à voir l’absurdité d’une telle limite dans un monde conçu par l’Homme. Des tensions que Griselda San Martin illustre également dans The Wall. Consciente des violences déclenchées par cette délimitation, elle réplique en documentant Friendship Park, un espace où les habitants de part et d’autre du mur peuvent se rendre visite, et échanger. « J’espère transformer le discours sur la sécurité des frontières en une conversation autour de la visibilité des migrants », déclare la photographe.
En mai 2019, plusieurs photographes de Magnum Photos – parmi eux Antoine D’Agata, Carolyn Drake, Olivia Arthur ou encore Matt Black – ont lancé LINEA : The Border Project. Un travail en profondeur, visant à tenter de représenter la frontière mexicaine et son influence sur la population. Un sujet complexe pensé comme une réponse aux médias, obsédé par la dimension politique d’une telle construction. « Nous souhaitons mettre en avant la subtilité, la complexité, l’humanité et la beauté de cette région et de ses peuples », précisent les auteurs. Avec finesse, ils construisent un univers photographique hétéroclite, prônant la tolérance. « Nous espérons que cette exposition deviendra un point de référence dans les années à venir. Peut-être permettra-t-elle de débuter des conversations – au sein de notre communauté et ailleurs », confient les commissaires. Riche et engagé, Trump Revolution se lit comme une bataille contre l’étroitesse d’esprit. Une mosaïque de créations multimédia célébrant l’empathie, et le vivre ensemble.
Trump Revolution : Immigration
Du 15 février au 29 mars
Galerie du Bronx Documentary Center
614 Courtlandt Avenue, Bronx NY 10451, États-Unis
© Griselda San Martin
© Laura Saunders / The Intercept
© Cinthya Santos Briones
© Peter van Agtmael / Magnum Photos
© Elliot Ross
© à g. Olivia Arthur / Magnum Photos, à d. Alessandra Sanguinetti / Magnum Photos
© Kholood Eid / Bloomberg
© Jone Moore / Getty Images
Image d’ouverture : © Elliot Ross