Dans son livre autoédité A Myth in the Making, Anika Spereiter sonde la psychologie de celles et ceux qui croient aux ovnis. De ces légendes non démenties par le corps scientifique, elle explore la fine ligne entre réalité et fiction, et mène une quête visuelle sur les peurs collectives de l’humanité et sur son propre désir d’évasion.
Forêt vaporeuse, nuit étoilée, télévision grésillante, figure extraterrestre… L’étrange pèse au-dessus de chaque image de la photographe allemande Anika Spereiter. Si l’artiste a toujours été fascinée par le surnaturel, tel que la magie, les vampires ou les fantômes, les mythes autour des ovnis (objets volants non identifiés, ndlr) et les aliens se sont révélés être un sujet aux multiples explorations. « Ce qui est particulièrement intéressant avec les observations d’ovnis, c’est que malgré le manque de preuves crédibles, la science ne peut pas exclure leur existence », explique-t-elle. Le simple fait qu’il pourrait y avoir d’autres formes de vie ailleurs que sur notre planète « ouvre le champ des possibles de l’imagination humaine » selon l’autrice. Ces hypothèses un tantinet probables, auxquelles nombreux·ses croient, poussent Anika Spereiter dans une quête photographique. Elle se pose une question : « Pourquoi souhaitons-nous y croire ? » La série A Myth in the Making se dessine alors peu à peu dans son esprit.
Une drôle de psychologie
Anika Spereiter poursuit sa recherche sur les ovnis pour constituer son travail photographique. Sur ce chemin, un ami lui glisse entre les mains le livre Flying Saucers: A Modern Myth of Things Seen in the Skies (1959), écrit par le psychanalyste suisse Carl Gustav Jung, où il examine la psychologie derrière l’observation des ovnis. « J’ai trouvé cet ouvrage très instructif, car l’auteur prenait au sérieux les personnes qui rapportaient avoir vu des ovnis, au lieu de les balayer d’un revers de main en disant qu’il s’agissait d’une imagination débordante », raconte-t-elle. Selon Carl Gustav Jung, l’attrait pour les objets volants non identifiés reflète les craintes profondément ancrées dans la psyché humaine. Dans les années 1950, il remarque par ailleurs une augmentation de signalements d’ovnis, indiquant « la peur collective de l’humanité d’être à la merci d’une puissance supérieure », décrit la photographe. Elle rappelle que cette période coïncide avec la fin de la Seconde Guerre mondiale qui a laissé des traumatismes communs violents, ainsi qu’avec le début de la guerre froide, qui annonçait une époque de troubles et d’incertitudes. « Jusqu’à aujourd’hui, les statistiques montrent que les observations d’ovnis sont en hausse dans le monde entier en temps de crise. En Allemagne, par exemple, leur nombre a presque doublé entre 2022 et 2023 », ajoute l’autrice.
Chercher l’alien
C’est en Allemagne, dans la région où Anika Spereiter a grandi, que A Myth in the Making prend vie. Habitant à Berlin, l’autrice loue une voiture et commence les allers-retours entre la capitale et sa terre natale. Accompagnée de quelques ami·es, durant ses voyages, elle capture avec son appareil photo moyen format ses errances nocturnes dans la nature et ses balades à travers les feux de forêt. « Pour chercher l’extraterrestre, je me suis appuyée sur ce qui m’était familier », confie l’artiste, soit un lieu qu’elle connaît, une personne de son entourage. Ses images en noir et blanc nous transportent dans un monde aux contours irréels, aux textures qui pourraient être celles d’une planète alien. « Je suppose que la photographie a la capacité de donner vie à des mondes imaginaires. Moi, j’essaie plutôt de transformer une atmosphère en quelque chose de tangible », soutient la photographe. Cette série est aussi une façon pour l’artiste de contenter son besoin d’évasion, de retrouver les forêts et les montagnes avoisinant sa maison d’enfance. Peut-être pouvait-elle le faire en se plongeant dans l’univers des ovnis qui titube entre mythes et réalités ? « Je n’ai jamais eu l’occasion d’apercevoir un ovni, mais chaque fois que je contemple un ciel étoilé, une petite partie irrationnelle de moi espère discrètement en voir un », avoue-t-elle.
L’extraterrestre qu’elle cherchait, Anika Spereiter l’a possiblement trouvé. En 2022, elle autoédite son livre A Myth in the Making, via le procédé de la risographie, qui ajoute à l’image beaucoup de grain. « Cela donne de la texture à la narration et me rappelle les journaux d’époques qui font écho aux théories qui entourent les ovnis », conclut la photographe.