Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence

26 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence
© Valentin Derom
Intervention vétérinaire
© Valentin Derom

Avec Support Systems, Valentin Derom explore les gestes de soin là où on ne les attend pas : dans les étables, aux côtés de son père vétérinaire, comme dans les musées d’histoire naturelle. À 29 ans, le photographe formé à Arles tisse des images où contrainte et délicatesse se répondent, révélant toute la complexité de notre rapport au vivant et aux corps.

C’est avec Support Systems, sa recherche en cours, que Valentin Derom retient aujourd’hui l’attention. Dans cette série, l’artiste interroge les gestes de soin, qu’ils s’adressent aux animaux vivants lors d’interventions vétérinaires ou aux corps figés dans les musées d’histoire naturelle. Loin de la simple documentation, il tisse des parallèles visuels et conceptuels entre la contrainte et la délicatesse, entre la réparation et la fixation, donnant à voir l’ambivalence du soin. Ce projet s’inscrit dans un parcours façonné par une relation singulière à la photographie.

Diplômé en 2024 de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, après des études aux Beaux-Arts de Lyon et une licence de littérature, Valentin Derom, 29 ans, se définit davantage comme un artiste qui utilise la photographie que comme un photographe au sens strict. Pour lui, les images sont des objets, des fragments qui prennent tout leur sens dans des installations. Cette approche plastique s’est imposée tardivement : il n’a touché un appareil photo qu’à 22 ans, poussé par un professeur qui lui a mis entre les mains un outil auquel il était d’abord réticent. Peu à peu, la photographie a supplanté la peinture et ouvert la voie à un langage qui lui permet d’explorer ses thèmes de prédilection. Déjà, ses installations Little Spoon ou Contacts creusaient les notions de lien, de soin et d’affect. Dans la première, un couple en cuillère se voit disloqué en quatre images aux proportions bancales ; dans la seconde, l’évolution d’un ami en transition de genre se déploie sur cinq années de planches contact. Dans ces œuvres, l’amitié et l’intimité apparaissent comme des systèmes de soutien fragiles et mouvants, tout comme dans Support Systems. Ce fil rouge dit bien l’obsession de l’artiste : sonder les relations, leur beauté et leurs tensions, et montrer que soigner ne va jamais sans ambivalence.

Deux femmes se tiennent la main
© Valentin Derom
Diapo
© Valentin Derom
Assistance vétérinaire à une vache
© Valentin Derom

Une tension entre soutien et contrainte

Ce questionnement, Valentin Derom le prolonge en accompagnant son père, vétérinaire rural, dont il photographie les gestes. Depuis l’adolescence, il a été témoin des scènes parfois brutales, parfois tendres de cette pratique – jusqu’à ce vêlage nocturne qui l’a marqué. Dans Support Systems, il en restitue aujourd’hui l’équilibre précaire : d’un côté, les actes nécessaires de la médecine vétérinaire, souvent empreints de contrainte, car un animal ne peut consentir ; de l’autre, les dispositifs de conservation des musées, qui soutiennent et réparent les corps naturalisés. Deux mondes que tout oppose, mais que ses images font dialoguer autour d’une même interrogation : qu’est-ce que soigner ?

L’artiste refuse l’étiquette documentaire. Ses photographies ne décrivent pas la profession vétérinaire ni les méthodes de taxidermie : elles s’en inspirent pour déployer une réflexion métaphorique sur l’attention portée aux corps. Ses interventions picturales, qui détourent certains objets pour les extraire du contexte muséal, accentuent cette tension entre soutien et contrainte. Les images, souvent en gros plan, témoignent d’une volonté d’approcher au plus près les gestes sans jamais perturber le soin. « Je me comporte envers les animaux comme je me comporterais en face d’un modèle humain : avec respect », souligne-t-il.

Exposée en partie en novembre prochain aux Beaux-Arts de Paris dans le cadre du festival PhotoSaintGermain, la série est encore en plein développement. Valentin Derom prévoit d’y intégrer de nouveaux terrains, comme la taxidermie ou la thanatopraxie, où se rejoue le paradoxe d’un soin rendu au corps après la mort. Là encore, il s’agira de trouver la juste distance, celle qui permet de respecter l’éthique des pratiques tout en révélant leur charge symbolique. Par ses images, Valentin Derom nous confronte à l’ambivalence fondamentale du soin : un geste à la fois tendre et contraignant, vital et parfois violent. Avec Support Systems, il déploie un langage photographique qui, tout en partant du concret, ouvre sur une méditation plus vaste : comment prendre soin sans effacer la complexité de ce qui vit, persiste ou disparaît ?

Fragments d'un autoportrait
© Valentin Derom
Bureau
© Valentin Derom
Vétérinaire avec un cheval
© Valentin Derom
À lire aussi
Arles, photographie de rue et animaux : nos coups de cœur photo de juillet 2025
(Les) Amériques © Arthur Vaillant
Arles, photographie de rue et animaux : nos coups de cœur photo de juillet 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont…
30 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Isabel Muñoz à Portrait(s) : le corps en majesté
© Isabel Muñoz
Isabel Muñoz à Portrait(s) : le corps en majesté
Jusqu’au 28 septembre 2025, le festival Portrait(s) accueille une rétrospective d’Isabel Muñoz, grande figure de la photographie…
20 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Gangs de chats, pigeons dérobés ou espions : ces séries de photos sur les animaux
© Chloé Lamidey
Gangs de chats, pigeons dérobés ou espions : ces séries de photos sur les animaux
Chiens, chats, ours, éléphants ou encore pigeons, apprivoisés, sauvages ou même espions, parmi les séries présentées sur les pages de…
23 juillet 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Explorez
La rétrospective de Madeleine de Sinéty, entre France et États-Unis
© Madeleine de Sinéty
La rétrospective de Madeleine de Sinéty, entre France et États-Unis
L’exposition Madeleine de Sinéty. Une vie, présentée au Château de Tours jusqu'au 17 mai 2026, puis au Jeu de Paume du 12 juin au 27...
15 décembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
À la MEP, les échos de vie urbaine de Sarah van Rij
© Sarah van Rij
À la MEP, les échos de vie urbaine de Sarah van Rij
Jusqu’au 25 janvier 2026, Sarah van Rij investit le Studio de la Maison européenne de la photographie et présente Atlas of Echoes....
12 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
© Guénaëlle de Carbonnières
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
À la suite d’une résidence aux Arts décoratifs, Guénaëlle de Carbonnières a imaginé Dans le creux des images. Présentée jusqu’au...
11 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
© Bastien Bilheux
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
Bastien Bilheux et Thao-Ly, nos coups de cœur de la semaine, vous plongent dans deux récits différents qui ont en commun un aspect...
08 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Sarah Bahbah : écran d’intimité
© Sarah Bahbah
Sarah Bahbah : écran d’intimité
Sarah Bahbah a imaginé Can I Come In?, un format immersif à la croisée du podcast, du film et du documentaire. Dans les six épisodes qui...
18 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les missives intimes de Julian Slagman
A Bread with a Sturdy Crust, de la série A Failed Attempt to Photograph Reality © Julian Slagman
Les missives intimes de Julian Slagman
Avec A Failed Attempt to Photograph Reality Julian Slagman compose des lettres personnelles qui mêlent des images monochromes et des...
17 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
26 séries de photographies qui capturent l'hiver
Images issues de Midnight Sun (Collapse Books, 2025) © Aliocha Boi
26 séries de photographies qui capturent l’hiver
L’hiver, ses terres enneigées et ses festivités se révèlent être la muse d’un certain nombre de photographes. À cette occasion, la...
17 décembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Martin Parr : des photographes de Bristol lui rendent hommage
© Fabrice Laroche
Martin Parr : des photographes de Bristol lui rendent hommage
Consciemment ou non, des photographes du monde entier travaillent sous l’influence de Martin Parr. Mais pour la communauté photographique...
16 décembre 2025   •  
Écrit par Thomas Andrei