Avec Support Systems, Valentin Derom explore les gestes de soin là où on ne les attend pas : dans les étables, aux côtés de son père vétérinaire, comme dans les musées d’histoire naturelle. À 29 ans, le photographe formé à Arles tisse des images où contrainte et délicatesse se répondent, révélant toute la complexité de notre rapport au vivant et aux corps.
C’est avec Support Systems, sa recherche en cours, que Valentin Derom retient aujourd’hui l’attention. Dans cette série, l’artiste interroge les gestes de soin, qu’ils s’adressent aux animaux vivants lors d’interventions vétérinaires ou aux corps figés dans les musées d’histoire naturelle. Loin de la simple documentation, il tisse des parallèles visuels et conceptuels entre la contrainte et la délicatesse, entre la réparation et la fixation, donnant à voir l’ambivalence du soin. Ce projet s’inscrit dans un parcours façonné par une relation singulière à la photographie.
Diplômé en 2024 de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, après des études aux Beaux-Arts de Lyon et une licence de littérature, Valentin Derom, 29 ans, se définit davantage comme un artiste qui utilise la photographie que comme un photographe au sens strict. Pour lui, les images sont des objets, des fragments qui prennent tout leur sens dans des installations. Cette approche plastique s’est imposée tardivement : il n’a touché un appareil photo qu’à 22 ans, poussé par un professeur qui lui a mis entre les mains un outil auquel il était d’abord réticent. Peu à peu, la photographie a supplanté la peinture et ouvert la voie à un langage qui lui permet d’explorer ses thèmes de prédilection. Déjà, ses installations Little Spoon ou Contacts creusaient les notions de lien, de soin et d’affect. Dans la première, un couple en cuillère se voit disloqué en quatre images aux proportions bancales ; dans la seconde, l’évolution d’un ami en transition de genre se déploie sur cinq années de planches contact. Dans ces œuvres, l’amitié et l’intimité apparaissent comme des systèmes de soutien fragiles et mouvants, tout comme dans Support Systems. Ce fil rouge dit bien l’obsession de l’artiste : sonder les relations, leur beauté et leurs tensions, et montrer que soigner ne va jamais sans ambivalence.
Une tension entre soutien et contrainte
Ce questionnement, Valentin Derom le prolonge en accompagnant son père, vétérinaire rural, dont il photographie les gestes. Depuis l’adolescence, il a été témoin des scènes parfois brutales, parfois tendres de cette pratique – jusqu’à ce vêlage nocturne qui l’a marqué. Dans Support Systems, il en restitue aujourd’hui l’équilibre précaire : d’un côté, les actes nécessaires de la médecine vétérinaire, souvent empreints de contrainte, car un animal ne peut consentir ; de l’autre, les dispositifs de conservation des musées, qui soutiennent et réparent les corps naturalisés. Deux mondes que tout oppose, mais que ses images font dialoguer autour d’une même interrogation : qu’est-ce que soigner ?
L’artiste refuse l’étiquette documentaire. Ses photographies ne décrivent pas la profession vétérinaire ni les méthodes de taxidermie : elles s’en inspirent pour déployer une réflexion métaphorique sur l’attention portée aux corps. Ses interventions picturales, qui détourent certains objets pour les extraire du contexte muséal, accentuent cette tension entre soutien et contrainte. Les images, souvent en gros plan, témoignent d’une volonté d’approcher au plus près les gestes sans jamais perturber le soin. « Je me comporte envers les animaux comme je me comporterais en face d’un modèle humain : avec respect », souligne-t-il.
Exposée en partie en novembre prochain aux Beaux-Arts de Paris dans le cadre du festival PhotoSaintGermain, la série est encore en plein développement. Valentin Derom prévoit d’y intégrer de nouveaux terrains, comme la taxidermie ou la thanatopraxie, où se rejoue le paradoxe d’un soin rendu au corps après la mort. Là encore, il s’agira de trouver la juste distance, celle qui permet de respecter l’éthique des pratiques tout en révélant leur charge symbolique. Par ses images, Valentin Derom nous confronte à l’ambivalence fondamentale du soin : un geste à la fois tendre et contraignant, vital et parfois violent. Avec Support Systems, il déploie un langage photographique qui, tout en partant du concret, ouvre sur une méditation plus vaste : comment prendre soin sans effacer la complexité de ce qui vit, persiste ou disparaît ?