Hugo Mapelli, photographe de mode parisien, se distingue par une approche expérimentale du médium. De ses compositions sibyllines – à la lisière des mouvements picturaux – jaillissent des couleurs et des assemblages nouveaux qui nourrissent toute la singularité de son art.
« Mon père aimait beaucoup la photographie, c’était purement amateur, mais il a réussi à créer une frustration en moi. Je n’avais pas le droit de toucher à son appareil alors j’avais d’autant plus envie de manipuler ce bel objet. Je n’ai pas fait d’étude dans l’art ou la photographie par la suite, et ça me pesait énormément »
, nous confie Hugo Mapelli. À cette même période, en proie aux doutes, l’artiste en puissance rencontre celle qui deviendra sa femme. Influence bénéfique, dès les débuts de leur relation, elle l’encourage vivement à se lancer. Plus motivé que jamais, il s’arrange alors pour obtenir un stage dans un studio parisien. Les envies fusent, une multitude de techniques nouvelles se déploient et affinent sa pratique. Très vite, il se fait assistant indépendant pour quelques années, étoffe son carnet d’adresses et parvient à travailler auprès de celles et ceux qu’il admirait.
De nouvelles logiques de consommation
Tourné vers la mode – plus accessible dans la Ville Lumière par l’effervescence qu’elle génère au fil des saisons –, Hugo Mapelli se distingue par une approche expérimentale qui prend racine dans l’histoire même du médium. Étroitement corrélées depuis leurs balbutiements, les deux disciplines se sont développées en miroir, et reflètent sa propre évolution. « J’aime créer des liens entre ces techniques anciennes et les outils contemporains. J’ai envie de proposer une nouvelle façon d’entrevoir la pratique argentique », nous explique-t-il. La photographie – pareille à la peinture qui l’inspire – est une œuvre sensorielle. Dans sa chambre noire, les rouges incandescents, les bleus pacifiques, les jaunes en fusion s’éveillent tour à tour et déclinent toute une palette d’émotions. À l’épreuve du temps et de la chimie, fragile, le papier se transforme. Il se corne et parfois se craquelle dans les arpèges d’un souvenir doux-amer, d’un instant en suspens entre le passé et l’avenir.
Quoique la mode cristallise une certaine temporalité, ses clichés n’en sont pourtant pas prisonniers. À l’inconstance d’un contexte, il préfère l’élégance d’un mouvement lent. Cette volonté s’inscrit alors dans les nouvelles logiques de consommation, plus soucieuses de l’environnement. « Je suis fasciné par le travail des étudiants des écoles. Leurs créations sont souvent conceptuelles, à la limite du portable. Ils font évoluer notre regard sur le vêtement, la manière de le porter, l’apparence que l’on a dans le monde, appuie Hugo Mapelli. Cette partie très créative est généralement moins datée que la mode plus commerciale, qui est en accord avec ce que vit la société à un moment précis. C’est l’axe de travail que je privilégie également. Dans l’art, on peut faire de très belles choses avec très peu de matériel. »
Renouveler notre vision de l’apparat
Mais les contours d’une silhouette réinventée génèrent tout autant de contraintes, si ce n’est plus. Dans les projets éditoriaux, l’expression de ces conceptions nécessite plus d’attention encore aux matières et aux nuances afin de mieux appréhender l’essence même des objets. Cette réalité limite alors le choix des procédés exploratoires. Il faut développer un nouveau langage qui confond les écritures avec clarté pour ouvrir un deuxième champ d’interprétation, « devoir du photographe ». À cet effet, Hugo Mapelli a fait des luminogrammes sa spécialité. « Dans le 8e art, il n’y a rien de plus abstrait. On ne distingue pas très bien certaines formes, on remarque des plis ou des variations de densité imprévues… Cela s’apparente davantage à des objets graphiques qu’à des clichés en tant que tels. Il est parfois difficile de qualifier ces créations qui ne sont qu’un travail de lumière », commente l’artiste.
Bon compromis, ces clichés à l’aspect radiologique se présentent finalement comme une alternative toute trouvée. Déposé à même le papier photosensible, un sac ou un bijou apparaît à taille réelle et dévoile une autre nature, souvent absente des campagnes de mode habituelles. « Pour moi, il n’y a pas plus authentique qu’un photogramme traité à l’état brut. Seules les couleurs apposées par la suite par opération de flashage peuvent créer des mises en scène et jouer sur l’émotion et l’onirisme véhiculés », affirme l’artiste parisien. À contrepied du faste et de l’opulence que l’on associe volontiers à la haute couture, la sobriété confère ainsi une part de mystère à ses sujets magnifiés. Une belle façon de renouveler notre vision de l’apparat et de célébrer toute la réflexion artistique qu’il porte en lui.
© Hugo Mapelli