« La démarche n’est pas polémique, ni même sensationnaliste. En dédiant en grande partie ce numéro de Fisheye à l’intelligence artificielle, nous ne voulons rien prouver, mais davantage comprendre. Il semble assez inutile de vouloir argumenter sur la qualité des images générées par rapport à celles qui sont captées. La différence n’est pratiquement plus visible et ne le sera bientôt plus du tout. Le débat n’est pas technologique, il ne concerne même pas l’utilisation de l’IA. C’est avant tout un débat éthique, philosophique et d’avenir. L’intelligence artificielle sera massivement utilisée pour la génération de photos, de vidéos et d’autres formes d’imagerie réaliste dans les années à venir. Le doute n’existe pas sur ce point. Il est illusoire de penser que ces images seront identifiées par un label. Le même débat était apparu concernant Photoshop. Toutes les images sont désormais retouchées, ou du moins interprétées par un logiciel, et presque aucune n’est signalée comme telle. La réponse ne sera jamais d’interdire, mais davantage de comprendre, d’encadrer et de bien utiliser. (…) En tout cas, pour aborder les innombrables échéances à venir sur cette question, il faudra éviter de tomber dans un discours corporatiste et fermé. Les solutions se trouveront plus dans l’intelligence que dans l’artificiel. Un débat qui ne va pas se clore de sitôt, et qui marque le début de la deuxième décennie de Fisheye. Après avoir fêté nos dix ans à Arles, nous entamons une nouvelle ère où la photographie va encore muter profondément, mais restera au cœur de nos sociétés. C’est dans les arcanes de ces changements, auprès des auteurs, que Fisheye trouve son sens et sa légitimité » introduit Benoit Baume, directeur de la publication chez Fisheye, dans l’édito de ce dernier numéro.
Du côté des artistes visuel·les, l’intelligence artificielle est, avant d’être un sujet polémique, un moyen de dépassement artistique. De cette façon, nous avons rassemblé dans le cahier central des auteurices qui utilisent l’IA ou l’étudient. Ainsi, le collectif Interspecifics Lab nous dévoile de nouvelles origines de la vie microbienne. Nouf Aljowaysir dénonce quant à elle l’effacement programmé d’une mémoire ancestrale, lorsque Luca De Jesus Marques part à la recherche de sa propre identité en inventant des filiations. Mishka Henner et Louis-Cyprien Rials inventent des contrées, surréalistes pour l’un, et parfaitement crédibles pour l’autre. Enfin, Brea Souders crée un dialogue intime avec une IA, en interrogeant les frontières du monde numérique et celles du monde physique. Un· à un·e, ces artistes nous prouvent qu’il existe bel et bien « une voie raisonnée et utile quant à l’utilisation de l’IA ». À vous de méditer sur le sujet en feuilletant, ou dévorant les pages de notre dernier opus.