Heins Evander et les couleurs obsessives des émotions

22 mars 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Heins Evander et les couleurs obsessives des émotions

Fou amoureux du médium photographique, Heins Evander convoque un monde à l’épreuve du temps où se croisent portraits sensibles, couleurs émotives et abstractions matissiennes.

Il y a les étreintes amicales, où les yeux se ferment, apaisés par une confiance mutuelle, et les visages tournés vers l’horizon, le regard défiant, contemplant un futur incertain. Il y a les feux des projecteurs, sous lesquels les modèles performent, et la lumière chaude d’un soleil printanier qui imprime sur les corps les ombres des arbres. Il y a les pleurs les plus honnêtes, qui déforment la peau. Il y a les baisers tendres, et puis la beauté calme de la nature, lorsqu’elle perce le goudron de l’urbain. Ces détails, ces émotions délicates, Heins Evander s’applique à les traduire en images depuis le début de sa carrière. Un projet au long cours qu’il aborde avec une passion infaillible et un goût prononcé pour les nuances – celles qui contrastent les scènes avec esthétisme, comme avec sensibilité.

Originaire de Jakarta, le photographe sino-américain a découvert le 8e art à l’adolescence, en jouant avec l’objectif de son iPhone 5. « J’étais comme un homme des cavernes découvrant le feu, s’amuse-t-il. Je shootais des trous dans les trottoirs, des lignes d’horizon, des feuilles de palmiers, mes ami·es et leur skateboard… Lorsque j’ai enfin eu un boîtier rien qu’à moi, j’ai passé des centaines d’heures à explorer les villes voisines, à prendre le bus pour pouvoir capturer tout mon environnement. Et puis un jour, il m’a paru sensé de reconnaître que j’étais tombé amoureux du médium ». Depuis ses débuts, l’auteur s’intéresse au charme de l’inattendu. Préférant partir à l’exploration du monde sans plan en tête, il recherche ce qui « paraît naturel et simple ». Une manière pour lui de mettre à l’aise ses modèles, qu’il considère comme des coréalisateurices de ses images. « Alors, on peut démarrer, et laisser briller les erreurs de parcours. Les regards fuyants, les têtes qui se penchent légèrement… La recherche de l’imparfait devient la perfection d’un instant entre deux instants », ajoute Heins Evander.

© Heins Evander© Heins Evander

Inspirer et s’inspirer

Et pour sublimer ces « erreurs », la recherche esthétique devient primordiale. Fasciné par l’ère des premiers appareils numériques et autres Polaroïds, « leur douceur et la richesse des couleurs », le photographe multiplie les flous artistiques, efface les fonds, souligne les halos des rayons lumineux pour donner à ses clichés une charmante volupté. Un travail sur la texture nourrissant son amour des couleurs vives, né de la découverte des tableaux de Matisse. « Ses célèbres figures dansantes bleues et vertes plus particulièrement. Elles sont à la fois poétiques et oniriques et – malgré leur simplicité – parviennent à raconter une histoire séduisante, romantique, immersive avec beaucoup de style et de subtilité », commente-t-il. Un coup de foudre qui le pousse à passer des heures sur Photoshop, étudiant les différentes teintes d’une même nuance et jouant avec les ajustements pour découvrir son potentiel : de l’éclat solaire d’un jaune clair aux tons plus sombres de la lave en fusion.

Et, des créations de Heins Evander, émergent de sublimes fulgurances, des portraits sculpturaux aux hommages abstraits à son peintre favori. L’ensemble formant une mosaïque étrangement cohérente nous invite à plonger dans un univers atemporel, où tout repère s’estompe pour mieux nous charmer. « Cette notion m’intéresse énormément. Je pense que lorsqu’on souhaite créer une image qui semble tout droit sortie d’un rêve, celle-ci doit pouvoir exister en dehors du temps », confie l’auteur. Ainsi, au cœur de cette sphère singulière où se croisent « l’amour, le réconforte, l’espoir – et plus largement toutes émotions », il nous faut errer, en inspirant et s’inspirant de ces œuvres aussi délicates qu’expressives.

© Heins Evander© Heins Evander

© Heins Evander

© Heins Evander© Heins Evander

© Heins Evander

© Heins Evander© Heins Evander

© Heins Evander

© Heins Evander© Heins Evander

© Heins Evander

© Heins Evander

Explorez
La sélection Instagram #452 : la danse sous toutes ses formes
© Aleksander Varadian Johnsen / Instagram
La sélection Instagram #452 : la danse sous toutes ses formes
Cette semaine, les photographes de notre sélection Instagram capturent les corps – et même les éléments – qui dansent à en perdre...
30 avril 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #490 : Guillaume Nedellec et Simona Pampallona
© Guillaume Nedellec
Les coups de cœur #490 : Guillaume Nedellec et Simona Pampallona
Nos coups de cœur de la semaine, Guillaume Nedellec et Simona Pampallona, nous plongent tous·tes deux dans une esthétique en...
29 avril 2024   •  
Isabelle Vaillant : récits d’une construction intime
© Isabelle Vaillant
Isabelle Vaillant : récits d’une construction intime
Jusqu’au 19 mai 2024, la photographe Isabelle Vaillant investit L’Enfant Sauvage, à Bruxelles, en proposant une exposition rétrospective....
26 avril 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
© Elie Monferier
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
Imaginé durant une résidence de territoire au cœur du Couserans, en Ariège, Journal des mines, autoédité par Elie Monferier, s’impose...
25 avril 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Albert Kahn et ses balades végétales
© Albert Kahn
Albert Kahn et ses balades végétales
Jusqu’au 30 décembre, le musée Albert Kahn présente une exposition de photographies du philanthrope, qui met en lumière sa passion pour...
04 mai 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Yelena Yemchuk : Odessa, ville enchantée
© Yelena Yemchuk
Yelena Yemchuk : Odessa, ville enchantée
En septembre 2022, l’artiste américano-ukrainienne Yelena Yemchuk publie Odessa aux éditions Gost Books. Hommage amoureux à la ville...
03 mai 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Berlin, Robert Frank et portrait flou : dans la photothèque de Diane Meyer
© Diane Meyer
Berlin, Robert Frank et portrait flou : dans la photothèque de Diane Meyer
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
03 mai 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Christophe Berlet, la boxe Thaï dans la peau
© Christophe Berlet
Christophe Berlet, la boxe Thaï dans la peau
« Quand j’étais petit, ma mère m’a interdit de faire de la boxe Thaï. Elle disait que dans son pays, c’était pour les mauvais garçons. »...
03 mai 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas