Croyances croisées

09 février 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Croyances croisées

C’est en creusant dans les récits sacrés de leurs origines que les jumeaux Elliot et Erick Jiménez ont composé Entre dos mundos. Une série à l’aura mystique, où les figures que l’on croise appartiennent aux contes d’autrefois. Un article à découvrir dans Fisheye #57.

Née à la fin du 20e siècle, la Santería – aussi appelée Lucumí – est une religion créée par la diaspora africaine à Cuba. Un syncrétisme croisant les figures des orishas (les divinités originaires d’Afrique de l’Ouest) et les saints catholiques. Il est dit que cette osmose entre les croyances et les traditions serait venue d’un besoin de la population noire de pratiquer en cachette sa religion. Prenant la forme des figures chrétiennes, les esprits qu’elle adorait passaient ainsi inaperçus. D’éléments abstraits naturels et colorés, ces déités évoluaient et revêtaient forme humaine. Frères photographes d’origine cubaine et américaine, Elliot et Erick Jiménez ont grandi avec cette spiritualité, cette religion aux visages multiples puisant dans des racines opposées. Une dualité qu’ils lient volontiers à leur propre statut de jumeaux. Aujourd’hui installés entre New York et Miami, ils développent, toujours en duo, un univers à l’esthétique raffiné croisant de nombreuses influences. Photographiques, d’abord, puisqu’ils ont aiguisé leur œil face aux clichés de Sally Mann, Diane Arbus, Sarah Moon ou encore Joel-Peter Witkin, mais aussi picturales. « Notre intérêt pour l’art a grandi en découvrant les tableaux des grands maîtres venus de différents mouvements : la Renaissance, le néoclassicisme, le rococo, le symbolisme ou encore l’impressionnisme », précisent-ils. Un bagage culturel dont les thématiques guident et nourrissent leurs créations : « On assiste souvent, dans ces tableaux, à une conversation entre art et religion qui explore différents sujets propres à l’expérience humaine : le bien contre le mal, la persévérance, la rédemption… On y voit également des figures divines ou mythologiques qui posent telles des protagonistes au cœur d’un paysage », poursuivent-ils.

Alors, en croisant la grandeur de ces peintures avec leurs propres origines, leur perspective unique en tant que migrants cubains de la première génération avec leur goût pour l’esthétisme, Elliot et Erick Jiménez érigent Entre dos mundos. Un conte onirique à la splendeur surréelle rendant hommage à la Santería – et en parallèle, à leur identité. Jouant avec les contrastes et les nuances, les photographes capturent des allégories des divinités vénérées, à la croisée des orishas et des saints. Figures fantasmagoriques et pénétrantes, leurs modèles arborent tour à tour des attributs des deux religions : du camail, une protection de tête en maille, populaire au Moyen-Âge, à la fraise blanche des prêcheurs, en passant par la grâce d’Oshun, déesse de la sensualité et des natures mortes fleuries – références aux offrandes yorubas. Pourtant, malgré le contraste des symboles, ces figures demeurent indéchiffrables. Unies par une noirceur profonde, presque surnaturelle, elles deviennent les témoins d’un échange à l’épreuve du temps. Tissant des ponts entre les images et les mondes spirituels, elles encapsulent cette richesse culturelle dans laquelle les deux frères ont baigné depuis leur plus jeune âge.

© Elliot et Erick Jiménez© Elliot et Erick Jiménez
© Elliot et Erick Jiménez© Elliot et Erick Jiménez
© Elliot et Erick Jiménez© Elliot et Erick Jiménez

 

© Eliott et Erick Jiménez

Explorez
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
The Journey Home from School © Laura Pannack, United Kingdom, Winner, Professional competition, Perspectives, Sony World Photography Awards 2025.
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
Des corps qui chutent, des trajectoires contrariées, des espaces repris de force… Et si la photographie était un langage de reconquête ?...
10 mai 2025   •  
Écrit par Anaïs Viand
Marion Gronier, la folie et le regard
© Marion Gronier, Quelque chose comme une araignée / Courtesy of the artist and Prix Caritas Photo Sociale
Marion Gronier, la folie et le regard
Pendant deux ans, Marion Gronier a arpenté des institutions psychiatriques en France et au Sénégal. Sans jamais montrer de visages, elle...
09 mai 2025   •  
Écrit par Milena III
Daniel Obasi : l'étoffe de la révolte
Beautiful Resistance © Daniel Obasi
Daniel Obasi : l’étoffe de la révolte
À Lagos, Daniel Obasi, 30 ans, met en lumière les communautés marginalisées du Niger à travers une mode émancipatrice et...
08 mai 2025   •  
Écrit par Milena III
À la Bourse de commerce, Deana Lawson suscite la réflexion
Bendy, 2019. Pinault Collection. © Deana Lawson / courtesy de l’artiste et de David Kordansky Gallery
À la Bourse de commerce, Deana Lawson suscite la réflexion
Jusqu’au 25 août 2025, la Bourse de commerce, à Paris, accueille la première exposition monographique de Deana Lawson en France. Sur les...
06 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
The Journey Home from School © Laura Pannack, United Kingdom, Winner, Professional competition, Perspectives, Sony World Photography Awards 2025.
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
Des corps qui chutent, des trajectoires contrariées, des espaces repris de force… Et si la photographie était un langage de reconquête ?...
10 mai 2025   •  
Écrit par Anaïs Viand
Marion Gronier, la folie et le regard
© Marion Gronier, Quelque chose comme une araignée / Courtesy of the artist and Prix Caritas Photo Sociale
Marion Gronier, la folie et le regard
Pendant deux ans, Marion Gronier a arpenté des institutions psychiatriques en France et au Sénégal. Sans jamais montrer de visages, elle...
09 mai 2025   •  
Écrit par Milena III
Anouk Durocher : portrait d'une révolution intime
© Anouk Durocher
Anouk Durocher : portrait d’une révolution intime
Nous avons posé quelques questions à Anouk Durocher, artiste exposée à Circulation(s) 2025. Dans son travail, elle explore l'approche...
08 mai 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Daniel Obasi : l'étoffe de la révolte
Beautiful Resistance © Daniel Obasi
Daniel Obasi : l’étoffe de la révolte
À Lagos, Daniel Obasi, 30 ans, met en lumière les communautés marginalisées du Niger à travers une mode émancipatrice et...
08 mai 2025   •  
Écrit par Milena III